VOQUER (XVII, 471b) [Diderot]

 

** à Marie Leca-Tsiomis **

Voilà, Marie, un mot de la langue des arts qui n’est pas français et un mot français qui n’est pas un mot de la langue de l’art des potiers de terre. VOQUER et VOGUER : une vedette d’adresse en ouverture et une autre sous forme de renvoi de mot en conclusion. La première doit s’effacer au profit de la seconde : Diderot corrige le dictionnaire de Trévoux. Et pourtant, Marie, « voquer » s’avère bien être et un mot français et un terme de potiers, contrairement à « voguer » attesté pour la marine et la chapellerie  uniquement. Diderot s’est manifestement trompé mais l’objectif de VOQUER proposant VOGUER résidait-il peut-être moins dans la correction d’une éventuelle erreur que dans l’occasion de ridiculiser un dictionnaire concurrent qui en prendra cependant bonne note dans sa dernière édition. Quoi qu’il en soit, VOQUER est à l’image du domaine encyclopédique des potiers de terre : un article qui n’aboutit sur rien dans un domaine lui-même non abouti.

Enjeux

VOQUER est un des nombreux articles anonymes de l’Encyclopédie dont l’attribution à Diderot ne fait plus de doute depuis tes récents et beaux travaux (voir Marie Leca-Tsiomis, RDE, 55 : 2020 et 56 : 2021 – mais pour qui les rappellé-je ?). Prétendument mot de la langue des arts suivant le dictionnaire de Trévoux, « voquer » n’est en réalité pas même un mot de la langue française selon l’éditeur principal de l’Encyclopédie. Le reproche est fort puisque le Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux prétend dans sa page de titre contenir « la signification et la définition tant des mots de l’une & de l’autre langue, avec leurs différens usages, que des termes propres de chaque état & de chaque profession. […]. L’explication de tout ce que renferment les sciences et les arts, soit libéraux, soit méchaniques, avec des remarques d’érudition et de critique ; le tout tiré des plus excellens auteurs, des meilleurs lexicographes, étymologistes & glossaires, qui ont paru jusqu’ici en différentes langues » ; il a toutefois inscrit dans sa nomenclature un mot que le monde des arts ne connaît pas et que la langue française ne reconnaît pas. Voici ce qu’écrit Diderot dans ses trois lignes d’article :

VOQUER, ce mot n’est pas françois, quoiqu’il se lise dans le Trévoux ; c’est voguer que disent les Potiers de terre & autres ouvriers. Voyez Voguer.

VOQUER fonctionne formellement comme un « article-renvoi », comme on en trouve par dizaines dans l’Encyclopédie. Ce genre d’articles porte très rarement la signature de son auteur ; son contenu n’en justifiant pas forcément la nécessité. Il s’agit d’articles extrêmement courts qui agissent comme simples relais entre une vedette et une autre sur laquelle le lecteur ne s’était pas spontanément porté pour parvenir à la définition qui l’intéressait. Les cas typiques sont ceux d’un mot pointant vers son synonyme (« BALANCEMENT, s. m. Voyez OSCILLATION » (t. II, p. 29a)), d’un mot renvoyant à un autre de sens connexe (« PHLOGISTIQUE, s. m. (Chimie.) c’est la même chose que le feu élémentaire. Voyez l’article FEU » (t. XII, p. 520b)), d’un mot renvoyant au même mot mais dans une variante orthographique (« CHIMIE, voyez CHYMIE » (t. III, p. 339a)), de l’artisan à son art (« DINANDIER, s. m. Voyez DINANDERIE » (t. IV, p. 1011b)), ou encore de l’adjectif à son substantif (« FORTUNÉ, adj. voyez FORTUNE » (t. VII, p. 207a)). Bien que juste un peu plus développé que les autres, VOQUER exprime parfaitement l’intention de cette classe d’objets encyclopédique : tout en n’omettant aucune entrée, on conduit efficacement son lecteur au but. Jusqu’à présent, je ne t’apprends rien. VOQUER est néanmoins plus sournois aussi. On n’entre pas seulement par une vedette sur laquelle rien ou presque rien n’est dit pour se voir renvoyer vers une autre où tout sera dit ou presque : par l’inscription non nécessaire dans la nomenclature de l’Encyclopédie d’une vedette clairement annoncée comme inexistante dans la langue française et ainsi sans référent dans la langue des arts (Diderot aurait tout aussi bien pu s’en dispenser), on entre par un dictionnaire que l’on n’a pas forcément sous la main – le Trévoux – pour aboutir à un autre que l’on a fort heureusement entre les mains – l’Encyclopédie. VOQUER est ainsi un article à double renvoi : renvoi d’un article à sa bonne vedette d’adresse et renvoi d’un dictionnaire universel bien connu à ses faiblesses. Toujours est-il que si l’objectif était de discréditer auprès d’un lecteur du dictionnaire raisonné un ouvrage concurrent, force est de constater que l’article VOQUER de Diderot offrait au contraire une occasion de revenir vers ce dernier afin d’obtenir une définition un peu complète du terme en question, même si « voquer » devait se lire « voguer ». En effet, l’article VOGUER vers lequel était renvoyé le lecteur de l’Encyclopédie n’a manifestement aucun rapport avec le travail des potiers de terre : VOQUER est en effet un article-renvoi sans cible (comme on en trouve parfois dans le dictionnaire de Diderot et D’Alembert). Qui plus est, VOGUER est identique au VOGUER du Trévoux (indiqué comme une nouvelle entrée de sa quatrième édition de 1752 (t. VII, p. 899) car reprenant, comme l’Encyclopédie, l’article VOGUER du Dictionnaire universel de Commerce de Savary (éd. 1748, t. III, p. 659)). Le voici, il est signé de Jaucourt et apparaît 55 pages avant l’article VOQUER :

Voguer, (terme de Chapelier.) faire voguer l’étoffe, c’est faire voguer sur une claie par le moyen de la corde qui est tendue sur l’instrument qu’on appelle un arçon, le poil, la laine ou autres matieres, dont on veut faire les capades d’un chapeau. (D. J.)

« Voguer » est, comme on le constate, un terme relevant ici strictement de l’artisanat de la chapellerie.

Voici maintenant l’article VOQUER du Trévoux (t. VII, p. 935) que tu dois consulter pour en apprendre un peu plus sur l’action de « voquer », comprendre « voguer » selon Diderot ; mot, soit dit en passant, absent de la nomenclature du dictionnaire de Savary :

VOQUER, v. act. Terme de Potier. C’est tourner la terre avec les mains, & l’apprêter jusqu’à ce qu’on n’y voie plus de sâble, & qu’elle soit en état d’être mise en œuvre sur la roue. Argillam praeparare, agitare, volutare, pinsere. Voquer la terre. Cette terre est bien voquée.

Si l’intention était donc bien de nuire au Trévoux et de souligner tout l’intérêt que représente désormais l’Encyclopédie, force est d’admettre que l’effet est raté, sauf à se contenter de l’article VOQUER et ne pas suivre le renvoi final. Dans le cas contraire, en l’absence d’une entrée de type « VOGUER (terme de potiers de terre) », le VOQUER de Diderot rend indispensable la consultation du VOQUER des jésuites ; ces derniers éclairant bien malgré eux le propos du philosophe des Lumières. La chose est cocasse. C’est un peu l’arroseur arrosé. Et dans ces affaires de poterie, tant va la cruche à l’eau …

Ce mot n’est pas français

L’article VOQUER de Diderot bien que très bref est très efficace. Il est constitué de quatre affirmations qui s’enchaînent pour former un chemin sans détour du premier mot au dernier mot, de la vedette d’adresse à la vedette de renvoi qui l’annule. VOQUER commence par un démenti sec qui sonne comme une vérité de fait – « ce mot n’est pas français » – , immédiatement suivi d’une réponse anticipée à un argument d’autorité – « quoiqu’il se lise dans le Trévoux » – , puis de l’annonce de la forme exacte du verbe dont il est question, sous couvert cette fois de l’autorité des premiers intéressés – « c’est voguer que disent les Potiers de terre & autres ouvriers » – , pour enfin correctement guider le lecteur vers la bonne vedette d’adresse et sa définition – « voyez VOGUER ». La voie à suivre est peut-être bonne mais la destination sera décevante.

L’entame de l’article fait bien de celui-ci, certes dans une modalité négative et tout à fait particulière (on serait ici face à un cas extrême), un article de « Grammaire » ; c’est-à-dire suivant une des deux manières de saisir ce champ de la connaissance encyclopédique (comme tu nous l’as parfaitement fait comprendre dans ton dossier critique pour l’ENCCRE, « Les deux désignants Grammaire », et plus largement dans ton ouvrage Écrire l’Encyclopédie, Diderot, De l’usage des Dictionnaires à la grammaire philosophique, 1999/2008), à savoir un article qui traite du sens d’un mot de la langue commune (en l’occurrence, son sens est d’en n’avoir aucun en français – mais encore fallait-il le dire – quoiqu’il se lise dans le Trévoux). Le fait de signaler le registre d’emploi du verbe voquer ne peut être assimilable à une véritable définition ; VOQUER est peut-être un article qui relève de la « langue des arts » (expression du Prospectus de 1750 et de l’article ART) mais il n’en dit absolument rien.

Ce mot n’est pas français mais tout de même. Voquer n’est pas une invention du dictionnaire de Trévoux. Il figure dans les dictionnaires français depuis déjà plus de 80 ans. C’est Pierre Richelet qui l’introduit pour la première fois, sauf erreur, dans le sien en 1680 (Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses, Genève, chez Jean Herman Widerhold). On le lit d’abord dans un sous-article TERRE puis dans l’article VOQUER :

Terre. Ce mot entre en plusieurs façons de parler de potier. [Lever la terre par rouleau. Marcher la terre. Voquer la terre. Tailler la terre.] (t. I, p. 441b)

VOQUER, v. a. Terme de Potier. C’est tourner la terre avec les mains & l’aprêter jusques à ce qu’on n’y voie plus de sable, & qu’elle soit en état d’être mise en œuvre sur la roüe. [Voquer la terre. Terre bien ou mal voquée.] (« Remarques sur la lettre V », t. I, p. 86)

La définition de VOQUER est inchangée dans son édition de 1706 d’Amsterdam (Dictionnaire françois, contenant généralement tous les mots tant vieux que nouveaux et plusieurs remarques sur la langue françoise, Jean Elzevir, p. 890b), mais apparaît à partir de la suivante de 1709 (Nouveau dictionnaire françois, Amsterdam, chez Jean Elzevir, t. I, p. 363b), et dans celles de 1710 de Genève (chez de Tournes, Cramer, Perachon, Ritter, t. II, p. 541b), de 1728 de Paris (t. III, p. 865a), et encore dans celle de 1759 de Lyon (t. III, p. 889a) dans une même forme très légèrement remaniée :

VOQUER, v. a. [Argillam præparare.] Terme de Potier. C’est tourner la terre avec les mains & l’aprêter jusques à ce qu’on n’y voie plus de sable, & qu’elle soit en état d’être mise en œuvre sur la rouë. (Voquer la terre. Terre bien ou mal voquée.)

Le Dictionnaire universel de Furetière de 1690 ne contient aucune entrée VOQUER, à la différence de ses éditions ultérieures (Basnage de Bauval, 1701 et 1708 ; Brutel de la Rivière, 1727) qui reprennent celle du Richelet de 1680, tout comme le Dictionnaire des Sciences et des Arts de Thomas Corneille de 1694 (t. IV, p. 594a) et encore en 1731 (t. II, p. 620a), dans une version toutefois écourtée (on y a exclu les deux exemples qui le terminaient)

Ainsi, quand le dictionnaire de Trévoux apparaît avec un article VOQUER, dès sa première édition de 1704 (t. III), la vedette d’adresse n’est-elle pas une nouveauté. Toutefois, l’ouvrage, reprenant la définition de Richelet telle qu’elle est apparue à l’origine, la complète d’expressions latines, dans une forme identique à celle de 1752 que je t’ai indiquée plus haut :

VOQUER. v. act. Terme de Potier. C’est tourner la terre avec les mains, & l’apprêter jusqu’à ce qu’on n’y voie plus de sable, & qu’elle soit en état d’être mise en œuvre sur la rouë. Argillam praeparare, agitare, volutare, pinsere. Voquer la terre. Cette terre est bien voquée.

L’article VOQUER restera en effet inchangé dans le Trévoux jusqu’à sa quatrième édition incluse (1721, t. V, p. 615 ; 1743, t. VI, p. 890 ; 1752, t. VII, p. 935).

Même si le Dictionnaire universel de commerce de Savary ignorera toujours le mot « voquer » dans sa nomenclature, ce n’est pas le cas de la traduction française du dictionnaire de Thomas Dyche (Nouveau dictionnaire universel des arts et des sciences, françois, latin et anglois, Avignon, chez la veuve de François Girard, éd. 1754 et éd. 1756, t. II, p. 562) qui le fait suivre d’une définition identique à celle du dictionnaire de Corneille.

Si « voquer » n’est pas un mot français, de l’avis de Diderot, il est au moins un mot de quatre dictionnaires français ou en français, dans leurs multiples éditions, tous connus de lui si ce n’est régulièrement employés par lui. Mais ce n’est pas tout. Le Traité de l’orthographe françoise, en forme de dictionnaire de Charles Leroy, à partir de son édition de 1747 (Poitiers, chez Félix Faucon, p. 610b) retient pour sa part aussi l’entrée : « Voquer, v. a. t. de potier » (et éd. 1752, p. 631b ; éd. 1775, p. 764b).

Dans un tout autre genre, E. F. Gersaint mentionne à son tour dans son Catalogue raisonné, des bijoux, porcelaines, bronzes, lacqs, lustres de cristal de roche et de porcelaine […] & autres effets de curiosité, provenans de la succession de M. Angran, vicomte de Fonspertuis (Paris, chez Pierre Prault et Jacques Barrois, 1747, p. 29), établi en vue d’une vente prévue pour décembre 1747 et mars 1748, le mot « qui n’est pas français » qui nous occupe :

Quand la terre est bien voquée, * on en forme des vases ou des figures que l’on expose au soleil le matin & le soir, ou que l’on met dans certaines étuves […]. [+ note * : * Terme en usage chez les potiers. C’est travailler la terre jusqu’à ce qu’elle soit purifiée du sable qui s’y trouve, & assez fine pour être en état de lui donner la forme que l’on veut.]

Et pour revenir aux jésuites, on lit dans la « Lettre VI. À Madame la duchesse de Bouillon. De la propreté & de la magnificence des Chinois » publiée en 1696 dans les Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine par le Père Louis Le Comte, de la Compagnie de Jésus (1696 est la date de la première édition à Paris, chez Jean Anisson, t. I, p. 329), la précision suivante :

Quand la terre est bien voquée, ils [les artistes chinois] travaillent aux figures, il n’y a pas d’apparence qu’ils se servent de moules comme en quelques autres sortes de poterie ; mais il est plus probable qu’ils les forment sur la rouë comme nous.

Cette précision est reprise dans un autre dictionnaire duquel Diderot est familier, Le grand dictionnaire géographique et critique de Bruzen de la Martinière, dans son article CHINE (1730, t. II, 2e partie, La Haye/Amsterdam/Rotterdam, p. 591b) qui intègre plusieurs passages des lettres du jésuite.

Voguer n’est pas un mot des potiers de terre

Si les témoignages de la présence du mot « voquer » dans la langue française et dans des ouvrages qui s’en veulent le reflet ne manquent pas, le rattachement de celui de « voguer » à l’art des potiers de terre n’est en revanche, Marie, jusqu’à preuve du contraire, absolument pas attesté. Les occurrences de celui-ci dans l’Encyclopédie sont toutes liées au domaine de la Marine (Aller à la dérive, CHALOUPE, ESPALMER, LOUVOYER, NAGE, Panneau, PONCTUATION, Pont militaire, PROS, REMORQUER, Rime bonne ou Bonne rime, SIMILE ou A SIMILI, VOGUER, Voile) auxquelles on peut ajouter PASSE-VOGUE et VOGUE, ou comme on a vu à l’art du chapelier (ARÇONNER, Chanterelle, CHAPEAU, CUIRET, MANIQUE ou MANICLE, Voguer), ou encore mais une fois seulement et sans doute métaphoriquement en Brasserie (Cuve-matiere) ; conformément à ce qui se lit ailleurs dans la littérature française jusqu’à la fin des années 1760.

Il paraît ainsi assez évident que « voguer » est un terme étranger à la langue des potiers de terre. Mais on remarquera bien que ce n’est pas tout à fait ce qu’affirme Diderot au sujet de « voquer ». Du moins peut-on comprendre un peu différemment son propos dans VOQUER : « voquer » n’étant pas un mot français, les potiers de terre seraient bien en peine de devoir l’employer. Aussi, très certainement, ne disent-ils pas « voquer » mais une forme approchante comme « voguer ». Tu comprends bien, Marie, que je cherche tout de même ici à venir au secours du philosophe qui t’est cher. Donc, je reprends : même si de toute apparence le mot « voguer » n’appartient pas au domaine du savoir des potiers de terre, Diderot n’aurait pas forcément tort d’exclure « voquer » de la langue française. La proposition qu’il lancerait alors de comprendre « voguer » quand on lit dans le Trévoux « voquer » ne serait simplement pas très heureuse ; il s’agissait peut-être de « roguer », ou « roquer », de « vaguer » ou « vaquer », … L’important est de retenir que les jésuites se sont trompés dans leur dictionnaire ; quant à la forme exacte du mot technique dont il est question, la langue des arts étant globalement « très imparfaite » – comme le relève Diderot dans ART – un « bon Logicien à qui les Arts seroient familiers » et qui aurait entrepris « des élémens de la grammaire des Arts » proposera bien quoi qu’il en soit à défaut du bon terme un terme juste ! Ne nous inquiétons pas pour cela.

Ah, que m’a-t-il pris de feuilleter encore l’Encyclopédie ? Voilà que je tombe sur le mot « vaucour », pour le coup propre à la langue des potiers de terre et de consonnance assez proche de celle de « voquer » : « vaucour »/« vauquer », « vocour »/« voquer ». C’est Jaucourt qui signe l’article VAUCOUR :

VAUCOUR, s. m. terme de Poterie ; les potiers de terre nomment vaucour, une espece de table ou de large planche, soutenue sur deux piliers, placés devant la roue dont ces ouvriers se servent pour tourner leurs ouvrages de poterie ; c’est sur le vaucour qu’on prépare & qu’on arrange les morceaux de terre glaise.

L’article est presque identique à VAUCOUR du dictionnaire de Trévoux, dans son édition de 1752 (t. VII, p. 536) ; il en forme alors une nouvelle entrée. Le dictionnaire de Richelet en propose une également très semblable (pas avant semble-t-il son édition de 1732, Amsterdam, t. II, p. 877a-b). La source de tous ces articles est le Dictionnaire universel de commerce de Savary (VAUCOUR, Paris, 1723, t. II, p. 1844-1845 ; 1748, t. III, p. 543) qui contient quelques lignes de plus et se poursuit ainsi : « […] [terre glaise] que le potier a dessein de mettre sur la girelle de sa roue, & c’est aussi où l’on pose l’ouvrage à mesure qu’il s’acheve, pour ensuite y ajouter les pieds, les anses, & les autres pieces qui se font à la main ».

Il va sans dire, malheureusement, que Jaucourt, ou plutôt VAUCOUR met en difficulté Diderot dans VOQUER. Et si, finalement, « voquer » était bien un mot français ?

Voquer, un mot du français dialectal

Chère Marie, il faut ici rappeler un fait concernant la biographie de Diderot qu’aucune étude lui ayant été consacrée n’a jamais jugé utile de souligner : Diderot n’était pas berrichon.

Si pour Diderot, on peut en français « provoquer », « invoquer », « évoquer », « révoquer », « convoquer » et « reconvoquer » – tous ces mots se lisent dans l’Encyclopédie – , il était hautement improbable que l’on puisse simplement « voquer », encore moins en poterie qu’ailleurs. Si ce verbe est bien emprunté au latin « vocare », que peut appeler le potier ? sa terre glaise ? C’est peut-être pour cela que Diderot refuse dans son article VOQUER toute possibilité d’appartenance à la langue française du mot « voquer ». Il ne pouvait s’agir que d’une forme corrompue de « voguer » ou autre, peu importe comme on a dit. Et l’occasion était alors trop belle de ridiculiser en passant les auteurs du Trévoux. Et pourtant, Marie, le mot est français, non pas le français des gens de lettres, ni forcément celui des parisiens. « Voquer » est sans doute un terme de métier attaché à un parler berrichon !

Le mot « voquer » est en effet bien attesté, de nos jours encore, au moins chez les potiers du Berry. Un livre de 1977, bien illustré, avec un récit très vivant de l’activité des potiers de terre d’un hameau nommé La Borne, situé sur le territoire des communes d’Henrichemont et de Morogues dans le département du Cher, témoigne parfaitement de la présence du mot si ce n’est dans la langue française, au moins berrichonne ; dans tous les cas, dans une variante pratiquée à La Borne. Il s’agit de : La Borne et ses potiers. Un village pas comme les autres de Robert Chaton, Henri Talbot, Pierre Bournay (illustration technique), André Rozay (dessins) (Éditions Delayance, La Charité sur Loire, 1977). La Borne est un site de production de poterie depuis au moins le XIIIe siècle ; les potiers de terre y sont relativement nombreux aux XVIIe et XVIIIe siècles (une petite vingtaine de familles tout de même). C’est là qu’il faut possiblement faire remonter l’origine des mots « voquer » et « vaucour » [celui-ci étant la déformation de « voquoué »] de l’Encyclopédie : mots appartenant à un dialecte du Haut-Berry mais plus précisément même, parce que relatif à la poterie et suivant les auteurs de l’ouvrage, à un jargon propre au « parler bornois ». Voici leur signification chez les artisans de La Borne :

voquer la terre : la battre.

l’voquoué : la longue et lourde planche de bois sur laquelle le potier battait la glaise et roulait les pâtiaux [= les boules de glaise que le potier collait au centre de son tour]. (p. 194)

Le début du chapitre « Monte sur la roue » mérite d’être largement cité car il met en scène le potier au travail, justement en train de voquer, et complète merveilleusement les articles VOQUER et VAUCOUR de l’Encyclopédie, tout autant que les explications et planches associées de la série « Potier de terre » du t. VIII du Recueil de Planches sur les sciences et les arts :

On entassait la glaise dans les « terriers », à proximité des « boutiques » [= les ateliers des potiers]. Elle y restait quelques semaines, travaillée plusieurs fois à la pioche et à la pelle de bois ; en hiver, on en faisait une réserve à l’intérieur pour éviter la gelée. Rentrée dans la boutique, un manœuvre, assis sur une « selle », la coupait avec une sorte de faucille à deux poignées, enlevant les pierres et autres débris, puis il la « patignait » – piétinait – longuement, opération répétée quatre ou cinq fois pour les terres de médiocre qualité. Petit à petit la glaise s’assouplissait et s’affinait.

Le premier malaxeur à moteur fut installé en 1920 […].

Selon son travail, le potier choisissait sa glaise et se mettait à la « battre », on disait « voquer ». C’était un travail long, bruyant, destiné à rendre la terre bien homogène et à la vider de ses poches d’air : les « vessies ». C’était aussi pour le potier l’occasion de montrer sa force et ses bras musclés.

Il préparait un gros pâton de terre et en coupait des « battées ». Une battée valait un certain poids de terre, il était entendu qu’il fallait 6 battées pour un grand pot n°6, une pour un plat à la raie, une demi-battée pour une bouteille plate.

Puis il retroussait ses manches bien au-dessus de ses coudes, s’asseyait sur le « voquoué », partageait la battée en deux, en prenait une moitié dans chaque main, écartait les bras et de toute sa force, aplatissait l’une contre l’autre les deux boules de glaise, puis il les séparait de nouveau en deux et recommençait, et cela 5 ou 6 fois pour la même battée, et pendant des heures, au rythme des « clac… clac » vigoureux, jusqu’à ce que toute la terre ait été battue et partagée en pâtiaux empilés sur le « voquoué », à portée de la main du tourneur. Et à chaque volée partait une giclée de petits éclats de glaise piquants comme des aiguilles. La boutique en était criblée ; parfois aussi les joues d’un coupeur de terre somnolent ; parfois aussi celles d’une visiteuse élégante et bavarde, quand le potier commençait à s’impatienter.

Ce travail terminé, le potier « montait sur la roue ». (pp. 77-78)

Si l’on remplaçait dans cet extrait le manœuvre par Diderot et la glaise par les jésuites, on accéderait peut-être à la pensée qui traversait l’esprit du directeur de l’Encyclopédie durant tout le temps de l’entreprise éditoriale et pas seulement au moment de la rédaction de son article VOQUER : manches retroussées, Diderot voquant quand l’occasion se présentait – plus pour montrer la vigueur de son esprit finalement que pour véritablement les aplatir – une demi-battée de rédacteurs du Trévoux… Dans son langage, il les envoyait « voguer », quoi qu’on lise chez eux.

Quoiqu’il se lise dans le Trévoux

Le moteur de recherche de l’ENCCRE nous fait connaître 32 articles de Diderot ou lui étant attribués faisant mention explicite du dictionnaire de Trévoux. En oubliant les simples références bibliographiques, et les articles au mieux neutres sinon légèrement ambigus (*ABARES, *Amiral-tromp, *CAPETIEN, *CONTROVERSE, *EXHUMER), restent six articles, six pâtons de terre bien assouplis. La manufacture encyclopédique s’apparente à bien des égards à l’art du potier de terre. Le Trévoux, sans doute une référence, n’est pas seulement une autorité que l’on peut mettre en doute. Elle est du point de vue lexicographique – et comme elle a précédé l’Encyclopédie – matière à remploi, matière qui se présente à la découpe, matière à travailler, matière à assouplir, à affiner. Aussi, tout comme à La Borne, l’encyclopédiste « choisissait sa glaise et se mettait à la ‘battre’, on disait ‘voquer’. C’était un travail long, bruyant » durant lequel on vidait la terre « de ses poches d’air : les ‘vessies’ ». Clac … clac :

*INCONGRU, INCONGRUITÉ, (Gram.) le premier se dit des fautes contre la langue ou la Logique ; & le second, des fautes contre l’honnêteté, la bienséance & les usages reçus. Le dictionnaire de Trévoux rend incongruité par inurbanitas ; mais inurbanitas marque une habitude, & incongruité ne marque qu’une action.

On séparait deux boules de glaise de Trévoux pour rendre la grammaire bien homogène. Clac … clac :

ILLUSTRE, ILLUSTRATION, S’ILLUSTRER, (Gramm.) […] On lit dans le Dictionnaire de Trévoux, Ciceron a été le plus illustre des orateurs de son tems, Virgile le plus illustre des poëtes : je ne sais si ces deux phrases sont d’une grande pureté ; il est certain que le mot illustre ne se dit pas aussi-bien en pareil cas que le mot grand. Ciceron a été le plus grand des orateurs de son tems ; Virgile le plus grand des poëtes. Un peintre, un statuaire, un musicien, peut s’illustrer dans son art. Illustre s’applique rarement aux choses, & je n’aime pas, les rois d’Egypte ont été ceux qui ont laissé de plus illustres marques de leur grandeur. Il se prend toujours en bonne part : un scélérat n’est point illustre ; il est fameux, il est insigne. Les écrivains hardis se jouent de toutes ces petites nuances. (t. VIII)

Encore des « vessies » ? Clac … clac :

*IGNAME, s. m. (Hist. nat. Bot.) plante d’Amérique […] On a fait d’igniame & d’igname deux articles dans le dictionnaire de Trévoux, quoiqu’il soit évident que ce sont deux noms de la même plante, qui peut-être en a encore un troisieme. Cette imperfection de la nomenclature en histoire naturelle, multiplie les êtres à l’infini, & jette beaucoup de confusion & de difficulté dans l’étude de la science. (t. VIII)

On écartait les bras et de nouveau on aplatissait. Attention aux petits éclats du Trévoux. Clac … clac :

*MARBREUR DE PAPIER, (Art méchanique.) […] Observations sur la maniere de fabriquer le papier marbré. 1. Richelet & Trévoux se sont lourdement trompés aux articles papier marbré ; l’un, en disant que pour le faire, on se servoit d’une eau dans laquelle on avoit détrempé des couleurs avec de l’huile & du fiel de bœuf, & sur laquelle on appliquoit le papier. Ce n’est pas cela ; on ne détrempe point les couleurs dans l’eau. L’autre, que les couleurs doivent être broyées avec l’huile ou le fiel de bœuf. L’huile n’a jamais été employée dans la fabrication du papier marbré, & ne peut y être employée. Cela est aussi ridicule que de dire qu’un peintre à l’huile broye ses couleurs à l’huile ou à l’eau. (t. X, §71)

[note : Le Trévoux (1704, 1721, 1743 ou 1752) copie en réalité le Richelet ; et ni l’un ni l’autre (pas même le Savary ni le Corneille) ne proposent de broyer les couleurs avec l’huile. Mais tant pis, on voque tout de même.]

Tel était, de manière générale, le travail dans la « boutique » encyclopédique ; de toutes ses forces on secouait « la battée […] pendant des heures ». Clac … clac. Clac … clac :

*ENCYCLOPÉDIE, s. f. (Philosoph.) […] Il eût été difficile de se proposer un objet plus étendu que celui de traiter de tout ce qui a rapport à la curiosité de l’homme, à ses devoirs, à ses besoins, & à ses plaisirs. Aussi quelques personnes accoutumées à juger de la possibilité d’une entreprise, sur le peu de ressources qu’elles apperçoivent en elles-mêmes, ont prononcé que jamais nous n’acheverions la nôtre. Voyez le Dict. de Trévoux, derniere édit. au mot Encyclopédie. Elles n’entendront de nous pour toute réponse, que cet endroit du chancelier Bacon, qui semble leur être particulierement adressé. […] (t. V, §3)

Et le dernier pâton de Trévoux bien assoupli, placé avec les autres « patiaux » sur le « voquoué » :

VOQUER, ce mot n’est pas françois, quoiqu’il se lise dans le Trévoux ; c’est voguer que disent les Potiers de terre & autres ouvriers. Voyez Voguer.

L’expression « dans le Trévoux », employée ici, semble être un hapax dans toute l’Encyclopédie. Dans le Trévoux, dans la matière du Trévoux, dans sa terre glaise mal travaillée une poche d’air à chasser. Diderot était un potier, à sa manière.

Mais, bien entendu, ce dernier n’était pas le seul à voquer le Trévoux ; d’autres encyclopédistes (Voltaire, pour ne citer que lui) déposaient leurs pâtons sur le vaucour du dictionnaire raisonné. Voici des exemples sans signature de leur potier : l’article LAID, que Pierre Léger dans son dossier critique de l’ENCCRE suggère pouvoir être de Saint Lambert, fait lui aussi entendre des clac … clac : « […] mais quoi qu’en disent les auteurs du dictionnaire de Trévoux, & même ceux du dictionnaire de l’académie, on ne doit pas dire, & on ne dit pas quand on parle avec noblesse & avec précision, une laide mode, une laide maison, une étoffe laide » (t. IX). Et, MÉTONYMIE (qui se termine toutefois par la mention suivante : « Cet article est tiré entièrement du livre des tropes de M. du Marsais ») : « A-propos de ces sortes de noms, j’observerai ici une méprise de M. Ménage, qui a été suivie par les auteurs du Dictionnaire universel, appellé communément Dictionn. de Trév. c’est au sujet d’une sorte de lame d’épée qu’on appelle olinde […] » (t. X, §42). Et le curieux RETRECISSEUSE (peut-être de Louis) donné dans sa forme brute (simple reprise entre guillemets de l’article correspondant du Trévoux) pour être voquer par le lecteur de l’Encyclopédie lui-même : « On lit dans le Dictionnaire de Trévoux, dernière édition, à ce mot …… “ […] “ ».

(Si l’on est indifférent à la poterie et que l’on s’intéresse tout de même aux relations entre « Diderot, l’Encyclopédie et le dictionnaire de Trévoux », je ne dirais pas, Marie, comme Sydney Poitier : ‘Que nul n’entre dans l’ENCCRE s’il n’est potier’ ; je renverrais simplement à l’article de Robert Morin, sous le titre même de ces relations, dans les Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 1989 : 7, p. 77-122, qui insiste, entre autres, sur l’indifférence des jésuites pour les arts mécaniques, voire leur mépris quand ils les comparent aux arts libéraux ou quand ils en traitent simplement et sèchement (p. 80-85). Indifférence et mépris bien compris par Diderot, sur ses gardes, lorsqu’il s’est agi de reprendre la vedette d’adresse VOQUER du Trévoux).

L’Encyclopédie dit le français et « voquer » devient « voguer »

Dans la Guerre des dictionnaires, le Trévoux était aux sources de l’Encyclopédie – grand clin d’œil, Marie, à ton ouvrage admirable de 2023 (Paris, CNRS Éditions). Mais dans sa dernière édition de 1771, les choses s’inversent : le Trévoux corrige ses articles pris à parti dans le dictionnaire raisonné ou du moins répond aux critiques, comme tu le montres (p. 204-211). Y compris dans le domaine de la langue française, « apanage si longtemps revendiqué des Trévoux », écris-tu. L’Encyclopédie est aussi un grand dictionnaire de langue qui fait maintenant autorité aux yeux du Trévoux. Dans le cas qui nous occupe, on peut même dire qu’il fait le français.

« Voquer » n’est pas français disait Diderot. Et le Dictionnaire universel de françois et de latin semble en 1771 s’en convaincre également (t. VIII, p. 470b). Reproduisant la définition de VOQUER des éditions précédentes, il la complète ainsi :

On prétend qu’il faut dire voguer : & il paroît qu’on a raison.

Autrement dit, l’Encyclopédie prétend qu’il faut dire « voguer » : et il paraît que Diderot a raison. Si le Trévoux le dit … ! Je te cite, Marie : « […] il y eut bien, dans le paysage des dictionnaires universels, et dans celui de Trévoux en particulier, un avant et un après l’Encyclopédie ». (p. 211). Ainsi, fin 1765, quand paraissent ensemble les dix derniers volumes du grand ouvrage de Diderot et D’Alembert, le français s’est enrichi au moins d’un mot supplémentaire (mais en remplacement d’un autre), « voguer » dans l’art des potiers de terre.

L’après-Encyclopédie dépasse en réalité même l’espace lexicographique. C’est le plus surprenant. Alors que les potiers de terre ont manifestement toujours « voqué » leur terre glaise, l’Académie Royale des Sciences, dans sa livraison de 1773 de la collection des Descriptions des arts et métiers sur « L’art du potier de terre », édité par Duhamel du Monceau, confirme à son tour le terme « voguer ». Le lexique qui termine la brochure (« Explications des termes de l’art du potier de terre », p. 83) indique :

VOGUER. C’est manier & pétrir la terre à la main, pour en ôter les corps étrangers & la corroyer plus parfaitement, page 21.

Et p. 21, on lit le mode opératoire tel qu’il devait se voir encore appliqué dans le Berry jusqu’en 1920 mais pas dans les termes du parler bornois (je souligne ici le mot « voguer ») :

Quelques potiers quand la terre C, Fig. 3, Pl. IV, est marchée, en mettent une motte sur une table épaisse, & la battent avec un barreau de fer A, Fig. 1, comme nous avons dit qu’on faisoit la terre à pipes, & cette opération est très-bonne ; mais soit qu’elle ait été marchée, ou battue avec le barreau de fer A, il faut toujours la voguer pour ôter toutes les pyrites & les pierres qui peuvent s’y rencontrer ; pour cela ils pétrissent la terre sur la table à mouler B, Fig. 2, comme on feroit de la pâte ; ils en rassemblent ensuite une motte assez grosse, & en passant alternativement la paume de chaque main sur cette terre, ils en emportent à chaque fois une couche assez mince ; s’ils y trouvent quelques corps étrangers, ils les détachent & les rejettent. Quand ils en ont ainsi ramassé à peu-près de la grosseur d’une livre de beurre, ils pétrissent cette motte & lui donnent la forme d’un cylindre ; ils le rompent en deux, & tenant chaque moitié dans une main, ils les rapprochent en les frappant fortement l’une contre l’autre ; puis les pétrissant de nouveau, & répétant à plusieurs fois cette manœuvre, ils ôtent toujours les corps étrangers qui se trouvent sous leurs mains & finissent par en former des mottes plus ou moins grosses, suivant la grandeur des vases qu’ils se proposent de faire. Les potiers suivent différentes pratiques pour voguer leur terre ; mais elles consistent toutes à beaucoup manier la terre pour la bien corroyer & en ôter les corps étrangers qui s’y trouvent ; car pour des ouvrages qu’ils sont obligés de donner à bon compte, ils ne peuvent pas faire les frais de laver leurs terres & de les passer au tamis, comme le font ceux qui travaillent de belle faïance. L’opération de voguer est fatigante ; car pour la plupart des ustensiles que font les potiers, la terre doit être pétrie bien plus ferme que pour faire des carreaux, sur-tout quand on fait de grands vases, tels que Fig. 6 & 7, Pl. III, qui, sans cela ne pouvant se soutenir, se déformeroient, & l’on vogue la terre avec beaucoup plus de soin pour certains ouvrages que pour d’autres.

On retrouve par ailleurs dans cette brochure le mot « vaucour » (p. 83b, « Vaucour. Tablette de bois sur laquelle pose la terre qui doit être travaillée, pag. 22. » / p. 22 : « […] k, sont des tablettes qu’on nomme Vaucour, établies autour de l’ouvrier, sur lesquelles il met ses balles de terre qui vont être travaillées, les vases qu’il a faits, une jatte dans laquelle il y a de l’eau, & une espece de calibre ordinairement de fer, qu’on nomme Atelle. »).

Dans le « Rapport fait à l’Académie des Sciences, par MM. Desmarets & de Jussieu le jeune, nommés pour examiner l’art du Potier, de M. Duhamel », les auteurs ne voient rien à redire au mot « voguer » : « L’argille (sic) destinée à être travaillée sur le tour subit les mêmes préparations que celle qui est employée pour les carreaux. On l’imbibe d’eau, on la pêtrit entre les mains, ce qui se nomme Voguer, & on la mêle avec du sable. […] » (dans abbé Rozier, Observations sur la physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts, Paris, t. I, 1773, p. 482).

Dans la réédition de 1777 à Neuchâtel de « L’art du potier de terre », il a toutefois été jugé utile, pour la bonne compréhension du mot « voguer », d’ajouter une note en allemand (note 27) à son apparition dans le texte : « En all. Mit den Händen wircken » [= étirer, tordre avec les mains] (Descriptions des arts et métiers, faites ou approuvées par messieurs de l’Académie royale des sciences de Paris. Avec figures en taille-douce. Nouvelle édition publiée avec des observations, & augmentée de tout ce qui a été écrit de mieux sur ces matières, en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Italie. Par J. E. Bertrand, Professeur en Belles-Lettres à Neuchâtel, membre de l’Académie des Sciences de Munich, t. VIII, Neuchâtel, Société typographique, 1777, p. 291) ; la traduction est répétée dans le lexique, p. 358.

Même si le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré ménage une place à un article VOQUER qui précise que voquer « se dit aussi voguer » (t. IV, 1872), il faut se rendre à l’évidence : la création d’un terme de poterie « voguer » par l’Encyclopédie, même validée par l’Académie des Sciences, ne lui assurera pas pour autant une inscription pérenne dans la langue française. Le Manuel lexique, ou Dictionnaire portatif des mots françois dont la signification n’est pas familiere à tout le monde (nouvelle édition considérablement augmentée. t. II, Paris, Didot, 1770) ne le retient pas et maintient une entrée VOQUER (p. 658b). Le Traité de l’orthographe françoise en forme de dictionnaire, quelle qu’en soit l’édition jusqu’en 1797, ne le considérera jamais et s’en tiendra toujours à VOQUER (comme le dictionnaire de Richelet, au moins jusque 1793). Le Dictionnaire françois-hollandais et hollandois-françois contennant la signification et les différents usages des mots, les termes d’arts, de sciences, de métiers, et de marine (O. R. F. W. Winkelman, Utrecht, chez Barthelemy Wild, 1783, p. 1055b) prendra le même parti [et, dans le même genre aussi, le Dictionnaire françois-italien de M. l’abbé François Alberti de Villeneuve […] par L. Nardini et M. Caietan Nassoin, Venise, 1810, chez les héritiers Sansoni, t. I, p. 511a.]

Le grand vocabulaire français dans son volume 30 de 1774 (VIP-Z) ne tient pas compte non plus de « voguer », mais pas davantage de « voquer ». L’Encyclopédie d’Yverdon (1775, t. 42) laisse lui aussi tomber les deux mots. Même traitement dans la Table analytique et raisonnée des matières de l’Encyclopédie du pasteur Mouchon (1780) qui n’enregistre pas la vedette VOQUER – et pourquoi le faire ? non seulement elle ne n’ouvre pas sur une définition du terme qu’elle recouvre, elle en signale un qui n’est même pas français – ; mais comme l’entrée VOGUER chez les potiers de terre n’existe pas davantage, il n’en sera pas non plus question. Quant à l’Encyclopédie méthodique, dans le dictionnaire des « Arts et métiers mécaniques » de Jacques Lacombe, POTIER DE TERRE (Art du) (Paris, chez Panckoucke, 1789, t. VI, pp. 603-614), l’étape préparatoire consistant à bien malaxer la terre avant de monter sur la roue n’est pas vraiment présentée ; aussi ni « voquer ». ni « voguer » ne se lisent, mais « vaucour » y est défini, et les termes de battre, corroyer, piétiner sont employés.

Plus tardivement encore, le Supplément au Dictionnaire de l’Académie, ainsi qu’à la plupart des autres lexiques français, contenant les termes appropriés aux arts et aux sciences, et les mots nouveaux consacrés par l’usage (Paris, chez Masson et fils, 1824, p. 552b) fera en revanche encore apparaître une vedette d’adresse VOQUER (« Disposer, préparer l’argile ») que maintiendra à l’identique le Dictionnaire général de la langue française et vocabulaire universel des sciences, des arts et des métiers de F. Raymond (t. II, M-Z, Paris, 1832, p. 768a). Il existe en réalité, Marie, dès le tout début du XIXe siècle, un nombre relativement important d’ouvrages mentionnant le « voquer » des potiers (mais pas le « voguer » de Diderot) qu’il est inutile de rappeler ici.

Que dire finalement de tout cela ? Le succès du terme « voguer » de Diderot a été de courte durée. Mais quel plaisir tout de même pour lui – si tant est qu’il s’en soit rendu compte – de voir le Trévoux se soumettre et les Descriptions des arts et métiers pour le coup le « plagier » (voir l’affaire Patte, étudiée par Emmanuel Boussuge et Françoise Launay).

Réception et suites

Sans surprise, l’article VOQUER de Diderot n’a jamais été repris et n’a connu aucune suite dans aucun ouvrage du dernier tiers du XVIIIe siècle, en dehors des rééditions suivantes de l’Encyclopédie où il se retrouve à l’identique :

  • VOQUER, Encyclopédie de Lucques, 1771, t. XVII, p. 404a.
  • VOQUER, Encyclopédie de Livourne, 1775, 3e éd., t. XVII, p. 788a.
  • VOQUER, Encyclopédie de Genève, 1778, chez Pellet, t. XXXV, p. 832b.
  • VOQUER, Encyclopédie de Lausanne et Berne, 1781, t. XXXVI, p. 265a.

Quant à l’Encyclopédie d’Yverdon (ou Dictionnaire universel raisonné des connoissances humaines, mis en ordre par M. De Felice), l’article VOQUER de Diderot est tout bonnement effacé du tome 42 (1775) (avec, il est vrai, un certain nombre d’autres comme ceux qui le suivaient : « VORACE, adj. VORACITÉ, s. f. (Gram.) », « VORDONIA, (Géog. mod.) », « VOREDA, (Géog. anc.) »).

De manière générale, la contestation du mot du Trévoux par l’éditeur principal du dictionnaire raisonné mais sans proposition concluante de remplacement a sans doute conduit à la prudence ; on s’est peu risqué à employer le terme « voguer » et on s’est tu sur « voquer ». On relève cependant au moins une exception, déjà signalée :

  • – le Manuel lexique, ou Dictionnaire portatif des mots françois dont la signification n’est pas familiere à tout le monde. Ouvrage fort utile à ceux qui ne sont pas versés dans les langues anciennes & modernes, & dans toutes les connoissances qui s’acquerent par l’étude & le travail, pour donner aux mots leur sens juste & exact dans la lecture, dans le langage & dans le style. … Nouvelle édition considérablement augmentée, t. II, Paris, Didot, 1770, (p. 658b) qui propose un article VOQUER sous cette forme :

VOQUER, v. actif. Terme de potier, qui signifie tourner la terre entre les mains & l’apprêter, pour la mettre en œuvre sur la roue.

Effectivement, un « mot français dont la signification n’est pas familière », défini dans son « sens juste et exact ». Le Manuel lexique était un ouvrage assurément « fort utile », du moins à ceux non versés dans la langue de l’art des potiers de terre. Mais le Manuel lexique n’a fait que reprendre … le Trévoux d’avant l’Encyclopédie.

[Remarque : Voguer n’est pas la seule création lexicale sans succès de Diderot dans son grand ouvrage. On peut citer le cas de *Abaque (« Le grand abaque est encore une espece d’auge dont on se sert dans les Mines pour laver l’or. ») qui sous cette forme est lui aussi un mot français mais non de la langue des arts ; voir le dossier critique associé dans l’ENCCRE.]

L’art du potier de terre

L’imprécision du domaine

Chère Marie, nous savons désormais ce qu’il en est de voquer. Il reste à voir dans quel ensemble le terme s’insère au sein de l’Encyclopédie. Je dis ensemble car parler de domaine de savoir est un peu problématique. La présentation de l’art du potier de terre dans le dictionnaire raisonné n’est sans doute pas aboutie ni véritablement construite.

L’art du potier de terre intègre de fait l’entreprise de Description des Arts & Métiers menée par Diderot dès le volume premier de l’Encyclopédie avec deux articles, puis quatre dans le suivant, aucun dans le t. III, cinq dans le t. IV, et un seul dans chacun des deux derniers avant l’interdiction de l’ouvrage. Seize articles de l’art du potier de terre, suivant leur désignant, paraissent ainsi de 1751 à 1757 mais sans jamais s’inscrire dans une cohérence d’ensemble.

Le traitement de l’art du potier de terre contraste par rapport à celui réservé à l’art connexe du faïencier. Même nombre d’articles (quinze pour ce dernier sur la même période, dont trois en commun avec le premier) mais tous organisés autour d’un article-maître, un article dit « traité de l’art » [voir le dossier transversal sur l’attribution des articles de la Description des Arts & Métiers] : l’article FAYENCE du t. VI ; si ce n’est par un renvoi interne en plus de l’unité du propos, par un désignant explicite (faïencier ou faïence). FAYENCE est un article complet qui expose dans le détail et avec la précision des mots de métier l’ensemble des instruments, machines, procédés et étapes de l’art dont il est question, de la matière première à employer à sa préparation, mise en forme, cuisson et peinture. Diderot semble avoir mené lui-même l’enquête (voir le §19) qu’il expose en lien avec des figures auxquelles il renvoie. Le rapprochement de l’art du potier de terre avec celui du faïencier n’est pas simplement comparatif puisque FAYENCE nous apprend qu’une série commune de planches pour les deux arts était prévue, les deux métiers étant il est vrai très proches ; on lit, §2 : « Voyez, Planches du Potier de terre & du Fayencier ». Le rapport de visite des commissaires de l’Académie Royale des Sciences chez le libraire Le Breton confirme que le projet était encore d’actualité le 16 janvier 1760 [merci à Emmanuel Boussuge de m’avoir fait connaître ce document]. On parlait alors de trois planches [le Recueil des planches sur les sciences et les arts en montrera finalement douze pour la faïencerie uniquement (vol. IV, 1767), et dix-huit pour la poterie de terre (vol. VIII, 1771)].

Autant l’art du faïencier est soigné, autant l’art du potier de terre paraît improvisé et subir le déroulement alphabétique de la nomenclature du dictionnaire raisonné. Quand démarre la publication de l’Encyclopédie, aucun plan d’exposition de cet art ne semble visiblement avoir été établi. La manière dont Diderot a rédigé son article ALQUIFOUX est révélatrice de cet état de fait.

*ALQUIFOUX, espece de plomb minéral très pesant, facile à pulvériser, mais difficile à fondre. Quand on le casse, on lui remarque une écaille blanche, luisante, cependant d’un œil noirâtre, du reste assez semblable à l’aiguille de l’antimoine. Ce plomb vient d’Angleterre en saumons de différentes grosseurs & pesanteurs. Plus il est gras, lourd & liant, meilleur il est.

Rien ne laisse entendre ici que l’on a affaire à un minéral dont le principal usage se constate auprès des potiers de terre. Cet article est la simple récriture de l’article homonyme du Dictionnaire universel de commerce de Savary (t. I, p. 637b) ; il en omet toutefois une phrase : « Les potiers de terre s’en servent pour vernir leurs ouvrages en verd ». Jaucourt, s’appuyant sur le même auteur dans Plomb minéral (Poterie) précisera bien que « celui que l’on nomme ordinairement alquifoux, n’a autre usage en France que pour les Potiers-de-terre qui s’en servent, après l’avoir pulvérisé, à vernir leur poterie ». Il en signalait déjà le danger pour ces ouvriers dans Colique de Poitou (Médecine) : « Les Potiers de terre, qui se servent de l’alquifoux, espece de plomb minéral difficile à fondre, ou de plomb en poudre, pour vernir leurs ouvrages, sont fort sujets à cette espece de colique » (§19). Lors de la préparation du volume premier de l’Encyclopédie, la mention de l’usage exclusif de l’alquifoux par les potiers de terre semblait alors superflue aux yeux de son principal éditeur. Et, pourtant, dans un article anonyme du t. XIII qui peut lui être attribué avec une assez forte probabilité, Plomber (en terme de Potier de terre), il va confirmer l’emploi courant de ce minerai dans ce corps de métier et reprendre à son compte le renvoi à ALQUIFOUX de Savary, de nouveau sa source. ALQUIFOUX se voit a posteriori lié au domaine du potier de terre.

Le premier article désigné comme « terme de potier de terre » est ABONNIR, non signé. Il est tiré du Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne de Richelet (éd. de 1740 par ex.) [et non du Trévoux qui le reprend également mais sans préciser que l’on sèche la terre « à demi »]. Le renvoi à REBATTRE qui lui est joint est un ajout directement suggéré par sa source qui évoquait un état de la matière « à rebattre ». Le travail auquel se rattache le terme abonnir est celui du carreleur. Avec ABONNIR, l’art du potier de terre apparaît en effet d’abord lié à ce que l’on pourrait appeler la poterie moulée. C’est à ce sous-domaine que se rapportent les articles suivants du champ encyclopédique de l’art du potier de terre : ABONNIR (terme de potier de terre), Batte (terme de Potier de terre), Battre (en terme de Potier), Couteau à tailler (en terme de Potier de terre) [avec renvoi à « Pl. 1. fig. 3 » correspondant en réalité à la fig. 14 de la Pl. I de la sous-série sur le Carreleur de la vaste série sur l’Architecture, vol. I], Equerre (en terme de Potier de terres), Faitiere (en termes de Potier de terre), Moule (en terme de potier) [avec renvoi « Voyez les Planches », possiblement la Pl. I de la série sur la Tuilerie], Mouler (en terme de Potier), Palette (chez les Potiers, les Faiseurs de creusets, &c.), Plane (en terme de Potier de terre) [avec renvoi à des « Pl. », concrètement à la fig. 9 de la Pl. I du Carreleur], et REBATTRE (en terme de potier). Si un sous-domaine nommé dans le présent dossier critique « poterie moulée » paraît se dessiner, son existence en tant que telle dans la chaîne des connaissances humaines que recouvre l’Encyclopédie n’en est pas moins assez incertaine. Il relève formellement – par les désignants qui suivent les vedettes d’adresse concernées – de la « poterie de terre » (le « de terre » pouvant-être sous-entendu). Or, ni POTERIE (ouvrage de Potier), ni POTIER DE TERRE (Poterie de terre), pas plus Poterie (Art. méchan.) ne le considèrent ; ils n’en traitent tout simplement pas. On a affaire avec les articles de poterie dite moulée à un exposé non achevé sur des métiers spécifiques travaillant l’argile ; exposé rejeté sans véritable réflexion sous l’étiquette « potier de terre » et détaché, dans les volumes de discours du dictionnaire raisonné, des domaines du carreleur, du briquetier, du tuilier avec lesquels il ne devrait pas y avoir de solution de continuité puisqu’il y est question des ouvrages même, et de leur emploi, de cette poterie moulée (comme on le constate à la lecture de *CARREAU et de TUILE renvoyant à *BRIQUE pour la préparation et cuisson de leur objet). Par contre, ce type de poterie trouve naturellement sa place, dans le Recueil des Planches, dans les séries dédiées à la Tuilerie et au Carreleur (vol. I), mais aussi à la Faïencerie (vol. IV) et même à la Manufacture des glaces (vol. IV : Pl. IV, V et X) ; type de poterie que l’on voit ainsi clairement mis à l’écart de la série sur le Potier de terre (vol. VIII) [on notera en passant que « tuilerie » et « briqueterie » sont synonymes, voir TUILERIE de Jaucourt ; et « tuile » et « brique » sont apparentés, voir le §16 de *BRIQUE]. La poterie moulée se rattache en tant qu’activité à la poterie de terre en général (comme les arts de la faïence et de la porcelaine d’ailleurs) mais s’exprime dans divers métiers à bien distinguer de celui que l’on va finalement proprement appeler potier de terre. [On notera le cas indécis de *Fosse qui renvoie à FAYENCIER et à Potier de terre. Le terme est plusieurs fois cité dans FAYENCE et dans le détail de ses figures associées, mais nulle part dans les articles et explications des planches de la poterie tournée (alors qu’il devrait bien y avoir des fosses ou fossés pour la glaise). En revanche, on parle et montre la fosse pour détremper la terre glaise dans la série sur la Tuilerie du Recueil des Planches. Il est donc fort possible que Diderot ait eu en tête le travail de la tuilerie quand il a rédigé son article *Fosse. Dans le doute, je le conserve tout de même au sein d’un champ de la poterie de terre (tournée) identifié dans mon dossier.]

Plus ambigu, Marie, est le cas du fournaliste. L’article qui prend pour sujet « l’ouvrier qui fait toutes les grosses pieces comprises sous le nom général de fourneaux » est FOURNALISTE, désigné par l’expression « en terme de Potier de terre ». Le fournaliste n’est pourtant « point du corps des Potiers de-terre », y apprend-on. C’est pour cela que, tout comme Biscuit distinguait dans son désignant entre les « Fayenciers », les « Potiers de terre » et les « ouvriers en Porcelaine », l’article Corroyer la terre glaise tient à marquer la différence entre les « Potiers de terre » et les « Fournalistes » mais aussi les « Sculpteurs » et les « Fontainiers », avant de renvoyer pour plus de précision à POTERIE qui ne voudra considérer toutefois que les premiers, alors que le fournaliste est également potier comme on le lit dans le désignant de Rouleau : « en terme de Potier fournaliste ». Encore une fois, les volumes de discours de l’Encyclopédie, pris dans leur ensemble, offrent une image indécise de ce que l’on doit entendre par « potier de terre ». Et alors que l’article POTIER (terme général) désigne par potier « celui qui fait ou qui vend des pots & de la vaisselle. Si les pots & vaisselles sont d’étain, on l’appelle potier d’étain ; & potier de terre, s’il ne travaille qu’en vaisselle & poterie de terre », la série du Potier de terre du volume VIII du Recueil des Planches accueille sans discussion le fournaliste, aussi bien que le fabricant de pipe. On en conclut que le véritable domaine encyclopédique de l’art du potier de terre – et contre ce que peut indiquer le désignant d’une vedette d’adresse – recouvre strictement la poterie tournée, de la petite vaisselle aux grands fourneaux des chimistes et des hôtels des monnaies en passant par les divers réchauds ainsi que l’artisanat de la pipe ; la faïencerie, qui englobe plus ou moins l’art de la porcelaine formant un domaine certes lié mais bien à part. On notera toutefois que dans leur livraison de 1773 sur « L’art du potier de terre » de Duhamel du Monceau, les Descriptions des arts et métiers de l’Académie Royale des Sciences saisiront ensemble les activités des potiers de terre tournée, de fournalistes et de carreleurs, s’agissant là d’« ouvriers qui font des ouvrages communs, & qui, pour cette raison, peuvent être donnés à bon marché » (p. 1) (« […] le faiseur de pipes, le faïencier, & même ceux qui font de la porcelaine, sont des potiers de terre, mais qui font des ouvrages beaucoup plus parfaits que ceux dont nous allons parler »). [« L’art du tuilier et du briquetier » de la même collection (de Duhamel, Fourcroy et Gallon) avait déjà paru, en 1763.] La délimitation de l’art du potier de terre est ainsi pure affaire de choix éditorial ; le problème est que l’Encyclopédie a fait le sien bien tard et sans conviction.

Les choses sont peut-être désormais plus claires pour nous, Marie, qui appréhendons l’Encyclopédie dans sa forme achevée, mais elles restaient un temps encore confuses pour Diderot. Encore dans Faitiere (en termes de Potier de terre) du t. VI, il insère un renvoi à POTIER DE TERRE, alors que ce qu’il décrit se trouvera illustré dans les Pl. I et II du Tuilier dans le Recueil des Planches, et que rien n’en sera dit bien sûr dans Potier de terre. Si les contours du champ du potier de terre demeurent flous en 1756 pour le responsable de la partie sur la Description des Arts & Métiers du dictionnaire raisonné, c’est que son traité de l’art n’est certainement pas encore rédigé, et que la vedette d’adresse sous laquelle il se rangera n’est toujours pas fixée : dans Faitiere, Fosse, Biscuit, on envisage l’article POTIER DE TERRE, mais FOURNALISTE et plus tard PALETTE avancent POTIER, et dans Ballons, POT  ; quant à *Couleur, c’était POTERIE DE TERRE. Seul Corroyer la terre glaise avait vu juste, si on peut dire, en suggérant POTERIE. Dans tous les cas, l’article-maître de l’art du potier de terre trouvera place dans les volumes interdits, préparés dans la clandestinité, avec Diderot également investi dans une élaboration du Recueil des Planches secouée par l’affaire Patte ; conditions bien différentes de celles dans lesquelles a été élaboré l’art de la faïence.

Le domaine du potier de terre : domaine désordonné et subalterne

Du point de vue de la Description des Arts & Métiers, notre article VOQUER prend ainsi place dans un ensemble dont la cohérence reposait au départ de l’entreprise encyclopédique, comme on l’a vu, sur la simple considération générale du travail de la terre glaise ou argile attendrie, pétrie et mise en forme, ou comme Diderot l’expose dans son Explication détaillé du système des connaissances humaines (t. I, p. xlviij) du « travail & [de] l’emploi de la terre ». Cette matière est effectivement une des plus utiles aux sociétés, comme le rappelle Daubenton dans ARGILLE (Hist. nat. foss.) [d’Holbach en complétera le propos dans le t. VII à l’article GLAISE, TERRE GLAISE, ARGILLE, (Hist. nat. Minéralog. Agric.), pour ce qui relève de la chimie et de l’économie rustique] :

terre pesante, compacte, grasse, & glissante. L’argille a de la ténacité & de la ductilité lorsqu’elle est humide, mais elle devient dure en séchant, & ce changement de consistance n’en desunit point les parties ; c’est pourquoi cette terre est propre à différens usages. On en fait des vases de toute espece, des tuiles, des briques, des carreaux, des modeles de sculpture, &c. car on peut lui donner toutes sortes de formes lorsqu’elle est molle, & elle les conserve après avoir été durcie au feu. Dans cet état elle résiste à l’humidité ; & si on pousse le feu à un certain point, on la vitrifie. […] C’est une matiere des plus abondantes & des plus utiles que nous connoissions.

Ont alors été considérés indifféremment, dans l’Encyclopédie, sous la même dénomination de « potier de terre » des activités dont l’objet et la destination seront davantage distingués au cours du développement de l’ouvrage (production de pots et vaisseaux bien sûr mais aussi de carreaux, briques, tuiles, pipes, réchauds et fourneaux, et – plus nobles – faïence et porcelaine, enfin – moins courant – fontaines qui pour une part se rattache davantage à l’art de la sculpture d’emblée distingué de la poterie).

Pour ce qui est précisément de l’art du potier de terre comme champ du savoir encyclopédique finalement identifié dans le dictionnaire raisonné, il se présente sous la forme de 68 articles, dont les 4/5 sont répartis dans les volumes interdits, très faiblement organisés autour de deux articles qui du point de vue formel uniquement représentent pour l’un – Poterie (Art. méchan.) l’article-traité de l’art principal, pour l’autre – FOURNALISTE (en terme de Potier de terre) – l’article-traité de l’art secondaire du domaine [lequel n’est en réalité que la reprise de l’article FOURNALISTE du dictionnaire de Savary, avec insertion d’un renvoi à POTERIE dans un premier paragraphe récrit, et ajout d’un dernier, un commentaire, jugeant assez pauvre le savoir des ouvriers fournalistes, sinon formulant le souhait de le voir s’enrichir de connaissances scientifiques pour le progrès de leur art : « Cet état [de fournaliste] demanderoit beaucoup plus de connoissance d’Histoire naturelle, de Physique & de Chimie, que ces ouvriers n’en ont communément » (§15)]. Ces deux articles sont d’ailleurs de taille assez modeste : respectivement 483 mots (7 §§ pour 2/3 de colonne) et 738 mots (15 §§ pour 1 col. 1/3), pour un domaine dans lequel le format moyen de tous les autres articles est de 60 mots seulement. Une petite poignée d’entre eux affiche un renvoi vers l’un ou l’autre des articles-traités de l’art ; la grande majorité paraît ne suivre aucun plan d’ensemble. Le domaine du potier de terre est une concaténation d’articles avant tout identifiés par des désignants plus ou moins approchants, une fois exclus tous les articles ayant trait à la poterie moulée et à la faïencerie. En voici la liste (et, dans l’annexe en fin de dossier, une visualisation spatiale) :

[explications : Les vedettes d’adresse sont soulignées. En italique et entre parenthèses sont les désignants des articles, ou ce qui fait office de désignants tel qu’on les lit dans le dictionnaire raisonné. Entre accolades sont les renvois internes présents dans les articles concernés. Suit une vedette d’adresse la mention de son auteur (* ou D : Diderot ; DJ : Jaucourt ; dH : d’Holbach) : entre crochets s’il s’agit d’une proposition d’attribution ; suivi d’un point d’interrogation si la proposition est moins assurée. Les règles d’attribution des articles à Diderot, et dans une moindre mesure à Jaucourt, sont explicitées dans mon dossier transversal sur « Les attributions de la Description des Arts & Métiers ». Enfin, entre les symboles inférieur-supérieur est signalée la source éventuelle (Sav. : Savary, Trév. : Trévoux, Corn. : Corneille, d’Av. : d’Aviler, pour leur dictionnaire respectif, et Caylus : Recueil d’antiquités Égyptiennes, Étrusques, Grecques et Romaines … du comte de Caylus, 1756, t. I).]

  1. I : ATTELLE [D] (il y a chez les Potiers de terre) < Sav. >.
  2. II : Ballons [D] (c’est ainsi qu’on appelle chez les potiers de terre) {VERRERIE ; POT} // *Biscuit (terme commun aux Fayenciers, aux Potiers de terre, & Ouvriers en Porcelaine) {Couverte; Poterie de terre; FAYENCE ; PORCELAINE}.
  3. IV : Corne [D] (en terme de Potier) // Corroyer la terre glaise [D] (les Potiers de terre, les Fournalistes, les Sculpteurs, & les Fontainiers) {Poterie} < Sav. > // *COULEUR (dans les Arts) {PEINTURE ; EMAIL ; FAYENCE ; PORCELAINE ; Poterie de terre ; VERRE ; TEINTURE ; VERNIS} // DÉCHIQUETER [D] (en terme de Potier de terre) {Palette}.
  4. V : *Embourrer (Potier de terre) < Trév. > // Estamper [D] (en terme de Potier) {CREUX}.
  5. VII : *Fosse (les Fayenciers & Potiers de terre) {FAYENCIER ; Potier de terre} // FOURNALISTE [D] (en terme de Potier de terre) {Poterie; Fourneaux} < Sav. > // *Fuseau (Potier-de-Terre) {Fourneau} < Sav. > // *GIRELLE (Potier-de-terre) < Sav. >.
  6. VIII : Habiller [D] (en terme de Potier) {CHANVRE} < Trév. >.
  7. X : Manche [D] (en termes de Potier de terre) // Marcher [D] (en terme de Potier de terre) // MASSICOT : dH (Chimie & Peinture) {Poterie} // Mélange [D] (en terme de Potier) {FOURNALISTE} // Motte [D] (Fayanc. Pot.) // Mouiller [D ?] (en terme de Potier) // Moule [D] (Potier de terre) {Fourneau} < Sav. > // Moulin [D] (en terme de Potier de terre) {« Voyez Planche du Fayancier, cette machine étant commune à ces deux arts »} // MOUSSURE [D] (en terme de Potier de terre) {PERÇOIR}.
  8. XI : Noix: DJ (terme de Potier de terre) < Sav. > // Oreille [D] (en terme de Potier) {MANCHE} // Pain [D ?] (terme de Potier de terre) // Palette: DJ (Poterie) < Sav. > // Palette : [D] (chez les Potiers, les Faiseurs de creusets, &c.) {POTIER} < Sav. >.
  9. XII : Paton [D] (en terme de Potier) {MANCHE ; OREILLE ; BALLONS} // Payens: DJ (terme de Potiers) < Sav. > // Percer [D] (en terme de Potier) // PERNETTE [D] (vase à l’usage des potiers-de-terre & des fayanciers) {FAYENCE} // Pipe [DJ ?] (Poterie) < Sav. >.
  10. XIII : PLOMB : dH (Hist. nat. Min. & Métall.) {Poterie} // Plomb en poudre [DJ] (Arts méchan.) < Sav. > // Plomb minéral: DJ (Poterie) < Sav. > // PLOMBER [D] (en terme de Potier de terre) {ALQUIFOUX ; Plomb en poudre; Potier de terre) < Sav. > // PLOMMER [DJ] (terme de Pottier de terre) < Sav. > // POELE : DJ (Fonderie & Poterie) < d’Av. > // Pommier : DJ (Ferblanterie & Poterie) < Sav. > // POT [DJ ?] (Poterie) {Potiers d’étain ; Potiers de terre} < Sav. > // POTERIE [DJ] (ouvrage de Potier) < Sav.> // Poterie [D] (Art. méchan.) {FAÏENCE} // POTIER [DJ] (terme général) < Sav. > // Potier de terre : DJ (Poterie de terre) < Sav. > // Rais : DJ (Poterie) < Sav. > // REFRAYER [D ?] (terme de Potier de terre) < Sav. >.
  11. XIV : RETOUPER [DJ ?] (Poterie) < Sav. ou Trév. > // Roue [D] (en terme de Potier) {« Voyez les Pl. & les fig. »} // Rouleau [D] (en terme de Potier fournaliste) {BALLONS} // Sécher [D ?] (en terme de Potier).
  12. XV : Siege: DJ (terme de Potier de terre) < Sav. > // Souder [D] (en terme de Potier) {Corne; PIE ; Manche} // SOUFROIR : DJ (ouvrage de Potier) < Trév. > // TALLEVANNE : DJ (Poterie) < Sav. >.
  13. XVI : TERRA ou TÉRA: DJ (Poterie) < Sav. > // TERRAILLE: DJ (Poterie) < Trév. > // TERRINE [DJ ?] (terme de Potier de terre) < Corn. > // TIRE-LIRE : DJ (Potier de terre) // Tour : DJ (Poterie de terre) < Sav. > // TOURNOIR : DJ (terme de Potier d’étain) (sic) < Sav. > // Trézalé [DJ ?] (Porcelaine-Poterie) // VAUCOUR : DJ (Poterie) < Trév. >.
  14. XVII : Vernis de plomb: DJ (Arts) < Sav. et Caylus > // Vernis: DJ (Poterie de terre) < Sav. > // VERNISSÉ [DJ] (Vernisseur) < Sav. > // VERNISSER : DJ (Poterie) < Sav. > // VOQUER [D] (disent les Potiers de terre & autres ouvriers) {VOGUER} // GIRELLE [ ?] (Potier de terre) {Potier de terre} < Sav. >.
Vol.IIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVII
Nb. d’art.120420410955134486
Diderot + [attribué][1]1 + [1] 1 + [3]1 + [1] 3 + [1][1] [8][3][3][3][2][1] [1]
Jaucourt + [attribué]          21 + [1]5 + [5][2]36 + [2]2 + [2]
Autre auteur (ou pas ?)         1 (dH)      [1] ( ?)

Diderot a rédigé 35 (voire 36) articles au total (7 seulement sont signés), dont 22 du t. I au t. X, c’est-à-dire avant l’entrée de Jaucourt dans le domaine encyclopédique du potier de terre. Je me permets ici, Marie, de te renvoyer au dossier transversal de l’ENCCRE sur les attributions des articles de la Description des Arts & Métiers dans lequel un graphique fait bien apparaître le moment où le chevalier prend le relais de Diderot dans cette partie, à savoir le t. XI, mais aussi celui où ce dernier s’en retire sensiblement (le t. XIII) [les t. X et t. XIII, et dans une moindre mesure le t. XVI, sont par ailleurs des sommets dans la production d’articles relevant des arts et métiers, comme on peut le relever ici aussi, dans le seul champ du potier de terre]. La participation de Jaucourt se monte alors pour les sept derniers volumes à 31 articles, dont 12 non signés. Je m’arrêterais juste sur son article Vernissé qui donne une assez bonne image de la manière dont ce dernier s’est investi dans le domaine du potier de terre. Il s’agit d’une reprise exacte de Savary, dans laquelle Jaucourt adjoint à la vedette d’adresse un désignant incorrect. Puisqu’il est question de « vernis », il forme le domaine du « vernisseur ». Cependant, ce dernier terme est absent aussi bien de la nomenclature des dictionnaires de Savary et de Trévoux que de l’Encyclopédie. Seul le dictionnaire de Richelet en fait une entrée dont la définition ne concerne pas la poterie mais une spécialité du travail de menuiserie : « Ouvrier qui applique le vernis sur le bois de menuiserie & ensuite travaille en or dessus (La plûpart des bons vernisseurs de Paris sont au Fauxbourg S. Antoine) » (éd. 1740, t. III, p. 693b). C’est dans le même univers professionnel que prenait place au t. I l’article Abreuver de Diderot (tiré lui aussi de Richelet, t. I, p. 12b). Même si Vernissé se rattache par son sujet même à la partie de Description des Arts & Métiers de l’Encyclopédie, on comprend bien que Jaucourt cherche moins à décrire un métier ou un art qu’à compléter la nomenclature de l’ouvrage. Aussi son désignant (Vernisseur) est-il la proposition malheureuse d’un collaborateur qui, bien que désireux d’apporter tout son soutien à l’éditeur principal du dictionnaire raisonné dans une période difficile, ne peut l’égaler dans son investissement dans les questions touchant les arts et métiers. Le manque de cohérence des désignants de la série d’articles de Jaucourt sur la poterie de terre, parfaitement consécutifs, semble le révéler : Vernis de Plomb (Arts), Vernis (Poterie de terre), Vernissé (Vernisseur), VERNISSER (Poterie). Ce dernier traite les articles les uns après les autres mais sans les appréhender dans leur relation. [J’avais dit, Marie, que je m’arrêtais juste sur Vernissé ; je voulais dire, juste ou presque. TOURNOIR (terme de Potier d’étain) de Jaucourt est un autre exemple assez parlant du relatif intérêt du chevalier pour la chose artisanale : l’article est repris du Savary mais avec une seule modification, une erreur de copie en fait, et de taille : le désignant était à l’origine « potier de terre » car, effectivement, le sujet de l’article est un instrument du tour du potier de terre dont le potier d’étain n’a pas usage. Potier de terre, potier d’étain, du pareil au même…

Le tout dernier article non signé du t. XVII est assez curieux, on va y revenir, car il est délicat de l’attribuer à Jaucourt qui n’a pas l’habitude de conserver les renvois de Savary quand il le reprend même très fidèlement comme c’est le cas ici ; je parle de « l’article omis » GIRELLE qui ne l’est en réalité pas puisque l’article *GIRELLE – inspiré lui aussi de Savary (via le Trévoux ?) – est bien à sa place dans le t. VII paru avant l’interdiction de l’Encyclopédie. Mallet ne paraît pas avoir rédigé d’articles de sujet purement technique ; on est devant une énigme : serait-ce une version antérieure aux retouches de Diderot qui serait malencontreusement restée dans la chemise du manuscrit de l’Encyclopédie jusqu’à la fin, comme un « bloc erratique » pour reprendre une expression d’Alain Cernuschi ?

Notre article VOQUER, quant à lui, figure bien en clôture du domaine de la poterie de terre de Diderot (même s’il n’est pas forcément le dernier rédigé).

Venons-en à l’article traité de l’art du potier de terre. Il s’agit de Poterie (Art. méchan.), attribuable à Diderot ; il paraît bien tard, au tome XIII de l’Encyclopédie mais marque, par sa vedette d’adresse, un domaine du savoir clairement distinct de celui du carreleur et autre tuilier. Son environnement direct est formé de quatre articles, le dernier signé de Jaucourt, les autres lui étant simplement attribuables, tous exactement tirés du dictionnaire de Savary : POT (Poterie) avec deux renvois non directement marqués aux « maîtres potiers d’étain & aux maîtres potiers de terre », POTERIE (ouvrage de Potier), POTIER (terme général) – attribué, à mon sens, à tort à Diderot dans l’ENCCRE – qui est un article d’éditeur [l’éditeur demeure en réalité Savary] annonçant les sous-articles suivants comme déclinaison du terme général, Potier d’étain [pour les 3/5e un ajout de d’Holbach non prévu par la vedette d’adresse principale sur les progrès du travail de l’étain depuis l’article ETAIN ; les 2/5e restants sont la reprise de Savary], et Potier de terre (Poterie de terre).

C’est donc dans le second article Poterie que l’on trouve un développement sur l’art du potier de terre. Cet article ne semble cependant pas avoir été rédigé pour lui-même mais tout du long en référence à l’article FAYENCE du t. VI. La poterie est certes plus ancienne que la faïence ; elle est surtout plus « grossière ». Aussi l’article Poterie a-t-il été beaucoup moins soigné que son modèle. Poterie  (Art. méchan.)  est ainsi ramené au niveau de son art dont les éléments ne peuvent être que grossièrement rapportés. Les fournalistes avaient pour eux la promesse d’un perfectionnement de leur métier s’ils se mettaient en mesure de bénéficier de l’apport des sciences de la nature. La poterie de terre en revanche a déjà vécu son heure de progrès quand apparurent le verre, la faïence et la porcelaine. Voici l’entame de Poterie de Diderot :

Poterie , (Art. méchan.) la poterie est fort antérieure à la porcelaine, au verre, à la faïence. Ses ouvrages sont grossiers, & son vernis n’est autre chose que le plomb mêlé avec un peu de sable. (§1)

FAYENCE avait aussi son paragraphe historique en préambule mais pour rappeler l’origine de la faïence, sa redécouverte en France, à Nevers, et laisser entendre que sa qualité est aujourd’hui plus que satisfaisante.

Diderot en vient à la description de l’art du potier de terre. C’est court – six paragraphes (2/3 de colonne) – et cela nécessite de la part du lecteur une consultation en parallèle de l’article FAYENCE en comparaison duquel Poterie  se construit jusqu’à son unique renvoi à la toute fin : « Voyez l’article FAÏENCE ». Le §2 de FAYENCE est le premier de sept paragraphes traitant spécifiquement, figures à l’appui, de la terre propre à faire la faïence. Le §2 de Poterie , sur le même sujet, est long de deux lignes : « Le potier prépare sa terre comme le faïencier ; il se sert d’un crible & non d’un tamis pour la passer ». Mais comme nous avons affaire à un art grossier, sans progrès possible, on peut toujours trouver plus grossier : « D’autres mêmes [parmi les potiers] y font encore moins de façons […] » (§3) ; on va y consacrer neuf lignes. La poterie de terre est un art pour lequel Diderot a visiblement peu de considération. La terre préparée peut maintenant être mise sur la tête du tour. FAYENCE décrit sur plus d’une colonne de texte le tour et le travail du tourneur en renvoyant vers des planches – Poterie  pour sa part ne fait état d’aucune (à croire que l’art du potier de terre n’est pas illustré). « Leur tour [celui des potiers de terre] est autrement fait que celui du faïencier [..] » même si les potiers « manient la terre comme le faïencier » ; on en explique la raison en quelques lignes, avant de poser les pièces tournées sur une planche [quel contraste, tout de même, par rapport à la profusion de détails techniques sur la roue et le tour dans la série sur le Potier de terre du vol. VIII du Recueil des Planches : douze planches y sont consacrées (et une et demie seulement dans la série sur la faïencerie du vol. IV) !]. « Ces marchandises étant sèches, on ne les tournasine point comme la faïence […] ». Pour comprendre le mot « tournasine », il faut lire le §9 de FAYENCE. Alors, « on les enfourne pieces sur pieces, & non dans des gazettes » ; la précision pourrait paraître obscure à un lecteur qui n’aurait pas lu les §§ 12-13 de FAYENCE. Ensuite : « On cuit comme les faïenciers. Après la cuisson, on défourne, & on donne le vernis, ou l’on plombe » (§3). Tout cela est expliqué sur 14 paragraphes dans FAYENCE.

Enfin, §§4-7 (17 lignes), une recette de vernis est indiquée ainsi que la manière de l’appliquer sur les vases biscuités. Dans FAYENCE, on traite aussi de la mise en couleur des pièces cuites (bleu, rouge, jaune, vert, brun, violet, blanc, pourpre, noir, …) sur 110 §§, suivant d’innombrables procédés tirés de la traduction par d’Holbach du traité de l’art de la verrerie de Kunckel (1752), et avec renvoi à l’article PORCELAINE « si on en désire savoir davantage ».

Le traitement de l’art du potier de terre dans Poterie  par Diderot peut sembler désinvolte. Mais peut-être faut-il se rappeler que pour le Recueil des Planches (si ce n’est pour les volumes de discours également) les arts du potier de terre et de la faïence n’en faisaient au départ qu’un. Aussi est-il possible de voir en Poterie  (Art méchan.) le traité de l’art auxiliaire de celui de FAYENCE (Art méch.), qu’il était jusque 1760 au moins. Seul FAYENCE méritait en effet une véritable enquête, apparemment menée par Diderot lui-même, car il y exposait l’art de la poterie de terre dans son état le plus abouti, sans doute même encore perfectible. Autrement dit, l’article Poterie  du t. XIII a conservé l’essentiel de sa forme, si ce n’est toute sa forme, et la destination qui était la sienne à l’époque du t. VI ; comme on peut d’ailleurs le penser pour l’article Moulin (en terme de Potier de terre) aussi attribuable à Diderot :

Moulin, en terme de Potier de terre, est un tonneau ou un massif de plâtre ou de pierre, creux, dans le milieu duquel, on voit une crapaudine qui reçoit l’extrémité de l’arbre d’une roue qui se tourne à la main dans ce massif. C’est dans le moulin que le potier broye ses couleurs. Voyez [la] Planche du Fayancier, cette machine étant commune à ces deux arts. (t. X)

Tu as bien lu, Marie : « Voyez [LA] planche du Fayencier » [précisément, la « fig. 22. une coupe du moulin avec son auge, sa meule, & son axe ou sa manivelle », selon FAYENCE (§19), soit peut-être la fig. 162 de la Pl. XI du faïencer dans le Recueil des Planches (vol. IV)] ! Et il n’est plus question de série commune de planches dite « du Potier de terre & du Fayencier » ; les deux arts sont désormais traités séparément. Mais on n’est pas encore aux douze planches du faïencier du vol. IV du Recueil des Planches. On se trouverait, semble-t-il, dans un entre-deux éditorial. Emmanuel Boussuge (dans « La chronologie de l’Encyclopédie interdite », Dix-huitième siècle, 2020/1, p. 295) établit la date d’achèvement du t. X du dictionnaire raisonné, où prend place le sous-article Moulin, entre le 8 août et le 8 novembre 1763. Le volume IV du Recueil des Planches paraît quant à lui en 1765 (approbation du censeur datée du 17 octobre). Le t. XIII des discours de l’Encyclopédie, dans lequel se lit Poterie  (Art méchan.), étant achevé entre le 26 juin et le 8 août 1764, on pourrait avancer que le traité de l’art du potier de terre ne s’est toujours pas, à cette date, émancipé de celui de l’art du faïencier, malgré l’établissement d’un domaine à part entière à son nom (que semble confirmer Moulin,). On note toutefois que l’article Roue (en terme de Potier) du t. XIV (bouclé entre le 8 août et le 8 novembre de la même année) pointe par son renvoi « Voyez les Pl. & les fig. » – LES planches – vers une série du Potier de terre réorganisée, puisque sur ses 18 planches, 8 seront en 1771 exclusivement consacrées justement à la roue (les Pl. V à XII), pour 2 aux réchauds, 2 à des ouvrages du fournaliste, 4 au tour, une aux fours et une à la pipe. Si un seul renvoi à des planches devait être proposé pour tout l’ouvrage sur ce domaine – comme c’est le cas en réalité – , il est logique qu’il se lise dans Roue. Aussi ce très court article de neuf lignes a-t-il fraichement été rédigé, du moins complété de son second paragraphe, à la suite de la décision d’un traitement distinct de l’art du faïencier et de celui du potier de terre. Les conséquences de cette décision sont quoi qu’il en soit sans grand bouleversement pour le propos des articles concernés, à la différence des planches.

[MASSICOT (Chimie & Peinture) du t. X et PERNETTE du t. XII témoignent effectivement l’un l’autre d’une décision récente de définition d’un domaine du potier de terre exclu de la faïencerie, ainsi que de répercussions sur le fond des articles de poterie somme toute très superficielles. Le premier, signé de d’Holbach, marque un renvoi à Poterie inséré dans un paragraphe (§4) composé à partir d’un passage de sa traduction de L’art de la verrerie de Kunckel (pp. 407-409) portant spécifiquement sur la faïencerie hollandaise : aussi, même s’il y est question sous la plume du baron de « la fayence & la poterie de terre », on ne parle en réalité que de faïencerie, avec une poterie de terre inévitablement ramené sur le terrain de l’art du faïencier. L’article PERNETTE, attribuable à Diderot et absent des dictionnaires de Trévoux, de Savary, de Richelet et de Corneille montre lui aussi que le cordon entre l’art du potier de terre et la faïencerie n’est toujours pas vraiment coupé, même si on tient, au sujet d’un « vase », à distinguer pour son usage les « potiers-de-terre » des « fayanciers ». Le terme de « pernette » n’apparaît et n’est expliqué que dans l’article FAYENCE et les explications de ses planches (on imagine pourtant que l’objet en question s’emploie également chez les potiers de terre). Le problème est en outre que la pernette n’est absolument pas un « vase » mais un petit « prisme de terre » (FAYENCE) faisant fonction de support aux plateaux sur lesquels sont déposés les ouvrages pour leur cuisson dans le four. Curieuse erreur.]

On serait donc face à un domaine encyclopédique du potier de terre dont les contours ont d’abord été tracés sans véritable réflexion, comme allant de soi, rassemblant en son sein toute activité artisanale ayant trait au travail de l’argile [la prise en charge de la poterie moulée est attestée en 1756 encore par Faitière et son renvoi à Potier de terre], s’étendant jusqu’à l’art du faïencier, avant de se démarquer du carreleur et du tuilier, et d’abandonner – sans grande conviction et peut-être même sans révision des articles concernés – son statut d’art subordonné à une faïencerie plus sophistiquée. Contre une certaine indifférence et un plan incertain, Marie, l’article VOQUER en clôture du domaine du potier de terre, par son ton quelque peu suffisant et polémique, semble finalement étrangement revendiquer ce qui a toujours manqué au traitement éditorial de celui-ci dans l’Encyclopédie : la maîtrise à tout niveau de ce dont il était question. Mais c’est le Trévoux qui en parle mal ; c’est le Trévoux qui ne s’en soucie guère, devions-nous comprendre.

Ce manque de maîtrise transparaît, dans VOQUER, derrière un renvoi à VOGUER sans cible ; également derrière une série de vedettes d’adresse en doublon : Moule (Potier de terre) / Moule (en terme de potier) ; Palette (Poterie) / Palette (chez les Potiers, les Faiseurs de creusets, &c.) ; et *GIRELLE (Potier-de-terre) / GIRELLE (Potier de terre).

Les deux articles POTERIE (ouvrage de Potier) et Poterie (Art. méchan.) se justifiaient clairement ; le second se glissant à la suite d’un autre tiré de Savary pour exposer, et sans équivoque avec la poterie moulée, l’art du potier de terre que le Dictionnaire universel de commerce présentait dans Potier de terre. Les deux articles Moule du dictionnaire raisonné ont aussi leur raison d’être, bien que tous deux attribuables à Diderot. Moule (Potier de terre) est la récriture d’un passage non typographiquement marqué chez Savary, situé dans un second paragraphe sous la vedette d’adresse Moule (en terme de manufacture de papier) [le premier paragraphe ayant servi à composer pour l’Encyclopédie le sous-article Moules (terme de Papeterie)]. Savary inscrivait son sujet dans l’art des fournalistes et proposait ainsi un renvoi à FOURNALISTE. C’est le cas également pour Diderot, mais du nom des ouvriers n’est retenue que la périphrase « faiseurs de fourneaux et de creusets » ; le renvoi est pour sa part transformé en FOURNEAU, rejoignant ainsi celui inscrit à la fin de *FUSEAU (Potier-de-Terre) du t. VII. Quant à l’autre MouleMoule (en terme de potier) – on a plutôt affaire à un article qui regroupe trois usages du terme en question dans la poterie moulée, avec deux renvois à des « planches » (§§ 1 et 3). Ce Moule -ci ne fait pas partie du domaine en tant que tel de l’art du potier de terre.

Les deux autres cas sont plus étonnants. Le premier, Palette : un premier article signé de Jaucourt, un second attribuable à Diderot, les deux – consécutifs – tirés de l’entrée Palette de Savary. Voici l’original suivi de ses deux reprises :

Palette. Les Potiers de terre fournalistes, c’est-à-dire ceux qui ont été reçus à la Cour des Monnoies pour faire exclusivement tous les fourneaux & creusets qu’on employe à la fonte des métaux, ont diverses palettes de bois, qui sont presque leurs seuls instrumens pour dresser, battre & arrondir leur ouvrage.

Les plus grandes de ces palettes sont ovales avec un manche, en tout parfaitement semblables à la palette des enfans ; les autres sont rondes ou échancrées en forme triangulaire ; d’autres enfin sont faites à la manière d’un grand couteau, & ont une espece de tranchant. Ces dernieres servent à ôter & ratisser ce qu’il y a de trop sur les moules, ou aux ouvrages que ces potiers font à la main, comme les fourneaux & les réchaux à blanchisseuses. Voyez Fournaliste. (Savary, 1748, t. III, p. 672-673)

Jaucourt répète à l’identique mais laisse tomber le renvoi final à FOURNALISTE :

Palette, (Poterie.) les Potiers de terre fournalistes, c’est-à-dire, ceux qui ont été reçus à la cour des monnoies, pour faire exclusivement tous les fourneaux & creusets qu’on emploie à la fonte des métaux, ont diverses palettes de bois, qui sont presque leurs seuls instrumens pour dresser, battre, & arrondir leur ouvrage.

Les plus grandes de ces palettes sont ovales avec un manche, en tout parfaitement semblables à la palette des enfans ; les autres sont rondes ou échancrées en forme triangulaire ; d’autres enfin sont faites à la maniere d’un grand couteau, & ont une espece de tranchant ; ces dernieres servent à ôter & ratisser ce qu’il y a de trop sur les moules, ou aux ouvrages que ces potiers font à la main, comme les fourneaux & les réchaux à blanchisseuses. Savary. (D. J.)

Diderot sélectionne la partie qui l’intéresse, oublie le renvoi à FOURNALISTE, étend le sujet aux « potiers » et à des « &c. » non spécifiés, puis de nouveau nomme les ouvriers fournalistes par la périphrase « faiseurs de creusets ». Il ne vient pas spontanément à l’esprit d’un lecteur ordinaire que les « ouvrages » concernés ici sont des fourneaux et des réchauds. L’ajout d’un renvoi interne à POTIER éloigne encore plus le propos des fournalistes, et paraît alimenter le domaine du potier de terre. On lit :

Palette, (chez les Potiers, les Faiseurs de creusets, &c.) est un instrument de bois, presque l’unique dont ils se servent pour former, battre, & arrondir leurs ouvrages. Voyez POTIER.

Ils en ont de plusieurs especes ; les plus larges sont de figure ovale avec un manche ; d’autres sont arrondies ou creusées triangulairement ; d’autres enfin ressemblent à des couteaux larges ; elles servent à couper tout ce qu’il y a de superflu dans les moules de leurs ouvrages.

GIRELLE maintenant. On a évoqué son cas plus haut : un article signé de Diderot dans le t. VII, sans doute repris du Trévoux (car lui-même, en se servant dans le Savary, avait abandonné le renvoi à Potier de terre), qui figure sans signature dans le t. XVII, parmi les « articles omis », dans une reprise cette fois très fidèle de l’article de Savary (inclus, donc, son renvoi à Potier de terre : renvoi curieux puisque l’article-cible devrait désormais être POTERIE (Art. méchan.)). J’aurais pour ma part quelques réticences à l’attribuer à Jaucourt (d’abord, la reprise du renvoi du Dictionnaire universel de commerce n’entre pas dans sa pratique rédactionnelle relative à la Description des Arts & Métiers de l’Encyclopédie ; ensuite, il n’y intervient pas réellement avant le t. XI, c’est-à-dire la lettre N). Le sujet ne touche pas le Commerce (ni l’Histoire, ni la Théologie, …) : ce n’est a priori pas un article de Mallet. D’Holbach ? Improbable. J’ai du mal à croire que l’on soit retourné dans le Savary, dans les derniers instants de l’entreprise encyclopédique, vérifier que rien n’en fut oublié. Il s’agit d’un article non omis dont une version (de Diderot ?) traînait en 1764-1765 encore dans ce qui restait du manuscrit du dictionnaire raisonné, qui, par erreur, dans la précipitation d’en finir avec l’ouvrage, a été considéré comme omis. Marie, je ne sais quoi en dire ; je donnerais simplement ici les trois versions :

GIRELLE. Signifie en terme de potier de terre, la teste, c’est-à-dire, le haut de l’arbre de la roue des potiers, sur laquelle se place le morceau de terre glaise préparé pour en faire un vase ou quelqu’autre ouvrage de poterie. Voyez Potier de terre. (Savary, 1748, t. II, p. 1462 ; et sans le renvoi : Trévoux, t. IV, p. 297)

*GIRELLE, s. f. (Potier-de-terre.) la partie de l’arbre du tour des Potiers, sur laquelle ils placent la motte de terre dont ils se proposent de figurer un vase, ou quelqu’autre vaisseau. (t. VII)

GIRELLE, s. f. (Potier de terre.) signifie en terme de Potier de terre la tête, c’est-à-dire le haut de l’arbre de la roue, sur laquelle on place le morceau de terre glaise préparé pour en faire un vaisseau, ou tel autre ouvrage. Voyez POTIER DE TERRE. (t. XVII)

[On aura remarqué l’inscription d’un désignant identique dans les deux articles de l’Encyclopédie, et l’emploi du mot « vaisseau » (mais pas tout à fait à la même place). La question se pose de nouveau : la dernière version ne serait-elle pas une version préparatoire de Diderot ?]

En lien avec ces cas de doublons, on peut évoquer celui des articles Plomber / PLOMMER. PLOMMER (terme de Pottier [sic] de terre), attribuable à Jaucourt, est la pure reprise de PLOMMER de Savary, à l’exception de ses trois renvois : ALQUIFOUX, Plomb en poudre, Potier de terre. Ces trois renvois apparaissent en revanche dans Plomber (en terme de Potier de terre) – attribuable à Diderot – pour la bonne raison que cet article est tiré de Plomber de Savary qui renvoie très rapidement à PLOMMER. Ainsi Diderot en ressaisit plus ou moins exactement la première phrase et poursuit son propos en reprenant le second paragraphe de PLOMMER du Dictionnaire universel de commerce qui se termine par les trois renvois. Les Plomber / PLOMMER de l’Encyclopédie font ainsi figure de quasi-doublons.

La définition du territoire que prendrait en propre dans l’Encyclopédie le domaine du potier de terre est d’abord un impensé éditorial avant de représenter, chère Marie, un problème pour Diderot lorsqu’il a été question, très certainement, de réorganiser le Recueil des Planches à partir de 1760 (distinction entre les arts du carreleur et du tuilier mais aussi séparation d’avec celui de la faïencerie). Les doublons qui se présentent dans la nomenclature de l’ouvrage sont des accidents qui correspondent, quant à eux, à une période où sévit l’interdiction de poursuivre l’entreprise encyclopédique, et durant laquelle Jaucourt (à partir du t. XI surtout, et, plus précisément pour nous, la lettre P) intervient, plus en parallèle que pour seconder Diderot, dans la production d’articles touchant les arts et métiers. Ainsi assiste-t-on à la superposition de deux mouvements disjoints dans l’appréhension du domaine de la poterie de terre après le tome VII : celui de la poursuite tant bien que mal de la composition des articles de l’art du potier de terre, et celui d’une réalisation de ses planches fondée sur de nouvelles bases et sur des sources pour l’heure non identifiées (une série du Potier de terre marquée par une multiplication excessive de ses figures destinée à illustrer avant tout un art et non ses articles, et une série sur la Faïencerie avec inflation considérable du nombre de ses planches et un nouveau traité de l’art en tête de leurs explications).

VOQUER, avec son renvoi dans l’eau et sa correction inexacte d’un terme technique, est finalement à sa place dans ce domaine du potier de terre travaillé sans trop de façon sur le tour de l’Encyclopédie. Bien que prétendant savoir ce que « disent les potiers de terre », Diderot n’a jamais vraiment pu montrer dans les volumes de discours de manière cohérente et liée ce qu’ils avaient à dire ; du fait, certes, des aléas de la manufacture de son dictionnaire raisonné, par mépris peut-être aussi un peu pour un métier dont les ouvrages il est vrai sont moins impressionnants et moins en vogue que celui de la faïencerie. C’est donc un domaine de savoir perturbé et jugé subalterne que vient clore alphabétiquement parlant VOQUER ; mais, fort heureusement, un article-doublon parmi les articles omis du volume XVII sauve l’Encyclopédie d’une conclusion sur un mot étranger à la langue des potiers de terre (« voguer »). La catastrophe totale est évitée. Sauf à penser que ce renvoi sans cible est un appel à donner suite, un refus d’en finir avec le domaine, voire l’Encyclopédie toute entière, et l’article omis GIRELLE un billet retour vers le tome VII à partir duquel tout le domaine serait à recomposer. Clac … clac.

La seule conclusion qui s’impose

Marie, Marie, Marie, nous arrivons à la fin de nos voqueries. Voquer ensemble a été plus qu’agréable. Mais nos mains ne se posaient pas sur une argile anonyme ; cette terre était de Diderot. C’est l’assurance de cette attribution qui autorisait une étude de l’article VOQUER. Sans tes formidables travaux de 2020 et 2021, rien ne pouvait sortir de trois pauvres lignes, que tu les battes et les rebattes sur le vaucour autant de fois que tu veux. Savoir avec certitude qui les a écrites change tout. D’ailleurs, le grand Jacques Proust n’en a absolument rien dit ; ni davantage sur l’art du potier de terre. Un VOQUER attribué à Diderot, c’est le début d’une histoire ; c’est un chemin qui s’ouvre dans l’Encyclopédie et que l’on n’a plus qu’à suivre.

Annexe : Image du domaine du potier de terre

Si 41,6% des articles de l’Encyclopédie ne sont pas signés, ce nombre s’élève à 70,3% dans le cadre plus étroit de ceux relevant des arts, des métiers et des manufactures (sur un total de plus de 11 587 articles se rattachant certes à la « nature employée » par l’homme, pour reprendre l’expression des Explications détaillées du Système des connaissances humaines du volume premier, mais une nature employée au sein d’activités intéressant concrètement le commerce et la production). Dans notre seul domaine du potier de terre, il se situe entre les deux (puisque les ¾ des articles paraissent dans les volumes interdits dans lesquels Jaucourt intervient et signe davantage) : 61,2% des articles y sont anonymes. Toutefois, la moitié de tous ceux qui le constituent sont des articles « isolés », non liés par un renvoi de ou vers d’autres articles (ou vers des planches). Un article isolé de la Description des Arts et Métiers est en soi une anomalie pour Diderot, dans ENCYCLOPEDIE, car il n’est « rien de pratiqué ou d’employé dans les atteliers, qui ne tienne par un grand nombre de fils au système général de la connoissance humaine » (§101) ; et pourtant compte-t-on ici 34 articles isolés sur 67. Et quand les fils existent, ils sont bien souvent interrompus. Le domaine encyclopédique du potier de terre forme en effet un réseau éclaté en de nombreux fragments (9 de deux nœuds au minimum), avec un unique lien vers la série correspondante du Recueil des Planches. Le centre du réseau devrait être tenu par l’article-traité de l’art. Toutefois, l’hésitation quant au nom de la vedette d’adresse sous lequel celui-ci devait se ranger dura jusqu’au moment où il a été rédigé. Ainsi le centre du réseau se trouve-t-il lui-même morcelé en trois centres autour de chacun desquels s’organise un morceau de réseau (Potier de terre / Poterie / Potier) [voire quatre si on considère POT ; et voire cinq si on tient compte du renvoi vers la vedette inexistante Poterie de terre]. Avec autant de discontinuité, il est difficile de reconnaître l’ensemble relatif à la poterie de terre comme une région à part entière de la grande chaîne des connaissances qu’exprime l’Encyclopédie ; d’autant plus que les liens vers des domaines extérieurs se montent à une quinzaine (comprendre, notre champ particulier du savoir se fixe dans une quinzaine de lieux différents de la grande chaîne des connaissances par des attaches parfois sans autre lien interne au champ, ce qui en fragilise encore plus la cohésion). On voit par ailleurs dans cette faible organisation du domaine la trace de l’époque où art du potier de terre et art du faïencier étaient appréhendés de concert : on repère un renvoi aux planches de la série sur la faïencerie mais surtout une vedette d’adresse FAYENCE (article-traité de l’art de la faïencerie) vers laquelle on renvoie cinq fois, et par laquelle la continuité des liens de 24 articles du domaine du potier de terre est assurée (témoignant d’un article FAYENCE originellement centre d’un beaucoup plus large domaine des arts de la poterie de terre en général sans doute).

Voici, pour concrètement visualiser les choses, une image en deux parties du domaine encyclopédique du potier de terre : la première rassemble les fragments de réseau, la seconde liste le reste des articles du champ – les articles isolés – par apparition suivant la tomaison de l’Encyclopédie.

[En trait fort bleu : les articles du domaine du potier de terre et ses liens internes.

En pointillé vert : les articles hors domaine et les liens vers lesquels on est conduit à partir de l’art de la poterie de terre ou par lesquels on y entre.

La zone rosée avec bordure en pointillée rouge : le centre éclaté du domaine du potier de terre.

Les lignes jaunes en pointillé : les marques de séparation des divers fragments du champ.

Le sigle « n.s. » surligné en rouge : article non signé.

* : article signé de Diderot.

Les noms de vedettes d’adresse surlignés en jaune : articles attribuables à Diderot.

Le surlignage mauve : articles signés ou attribués à Jaucourt.

dH surligné en bleu ciel : signature de d’Holbach.

Nom de vedette entre guillemets : renvoi vers un article inexistant.

Cadre de vedette d’adresse entre crochets : renvoi sans cible suivi de sa bonne cible.]

Franckowiak-tableau1

Franckowiak-tableau2

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