INSURRECTION, s. f. (Hist. anc.) on nommoit ainsi le droit de soulevement accordé aux citoyens de Crete, lorsque la magistrature abusoit de sa puissance & transgressoit les lois. Alors il étoit permis au peuple de se soulever, de chasser ses magistrats coupables, de les obliger de rentrer dans la condition privée, & d’en nommer d’autres à leur place[1].
Une institution pareille qui permettoit la rebellion pour empêcher l’abus du pouvoir, sembloit devoir renverser quelque république que ce fût ; elle ne détruisoit pas cependant celle de Crete, parce que c’étoit le peuple du monde qui avoit le plus d’amour pour la patrie, & la force de ce grand principe l’entraînoit uniquement dans ses démarches[2]. Ne craignant que les ennemis du dehors, il commençoit toujours par se réunir de ce côté-là, avant que de rien entreprendre au-dedans, ce qui s’appelloit syncrêtisme[3], & c’est une belle expression.
Les lois de Pologne ont de nos jours leur espece d’insurrection, leur liberum veto ; mais outre que cette prérogative n’appartient qu’aux nobles dans les dietes, outre que les bourgeois des villes sont sans autorité, & les paysans de malheureux esclaves ; les inconvéniens qui résultent de ce liberum veto, font bien voir, dit M. de Montesquieu, que le seul peuple de Crete étoit en état d’employer un pareil remede, tant que les principes de leur gouvernement resterent sains[4]. Esprit des lois, liv. VIII. chap. 9. (D. J.)
Note initiale. Le mot insurrection n’existe pas alors en français : Jaucourt l’emprunte à Montesquieu (L’Esprit des lois, VIII, 9, cité ensuite), qui lui-même l’emprunte sans doute à l’anglais, afin de désigner une institution propre à la Crète antique : c’est à ce titre que l’article relève du domaine « Histoire ancienne ». Popularisé par le succès de L’Esprit des lois et par un tel réemploi, le mot entre en 1771 dans le Dictionnaire dit de Trévoux, qui reproduit le texte de Montesquieu, avant d’acquérir avec la Révolution le sens plus général qui fait de l’insurrection « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » face à un gouvernement qui « viole les droits du peuple » (constitution de l’an I, article 35).
NOTES
[1] Jaucourt omet de reproduire la source que Montesquieu signalait en note : Aristote, Politiques, Pol., II, x (1272b 1-7), qui est très hostile à cette disposition ; il ne reproduit pas non plus ses réserves : c’était « un moyen bien singulier ».
[2] Reprise fidèle, parfois littérale, de L’Esprit des lois.
[3] Reprise et glose d’une note de Montesquieu, d’après Plutarque (« De l’amitié fraternelle ») : « On se réunissoit toûjours d’abord contre les ennemis du dehors, ce qui s’appelloit Syncretisme » (translittération par le traducteur, Amyot, du mot grec signifiant « union, association des Crétois »).
[4] Cf. L’Esprit des lois, ibid. : « Les Loix de Pologne ont aussi leur Insurrection. Mais les inconvéniens qui en résultent font bien voir que le seul peuple de Crete étoit en état d’employer avec succès un pareil remede ». En développant l’usage (généralement critiqué) du liberum veto, qui permet à tout noble de s’opposer aux résolutions de la diète du royaume, ce qu’il explique de manière circonstanciée à l’article Pologne, histoire et gouvernement de (Hist. & Droit politique) (t. XII, p. 931b ; voir aussi, du même auteur, POSTPOLITE, (Hist. de Pologne.), t. XIII, p. 173a), Jaucourt dilue la pertinence du rapprochement avec le cas crétois.