Hommage à Marie Leca-Tsiomis

 

Marie l’élégante… Peut-on s’étonner que l’article FICHU, (Mode) ait retenu l’attention de Marie ? Qui ne se souvient de ses élégants foulards colorés qui illuminèrent plus d’une fois nos austères études ?

Marie la sensuelle… C’est que pour Marie les idées ne sauraient se dissocier du corps. L’article JOUISSANCE, (Gram. et Mor.), qu’elle a tant de fois et brillamment commenté, n’est pas à ses yeux que l’un de ces articles de grammaire étudiés dans sa thèse. Il est aussi, comme son désignant l’indique, un article de morale, c’est-à-dire portant sur les mœurs. L’éloge de l’acte sexuel, puis de l’amour qu’il contient est un appel aux sens, ces sens que la morale, au sens moralisant du terme, tend à brider, au grand dam de Diderot.

Marie la lexicologue… Marie, cependant, est avant tout une lexicologue, comme en témoignent ses recherches pointues sur les dictionnaires. Ce ne sont pas les nombreuses définitions de l’article NATURE, (Philos.), attribué à D’Alembert, auquel elle s’est courageusement attaquée qui vont me détromper. Que de fois, par ailleurs, ne nous a-t-elle pas renvoyés, en séminaire, en colloque, à telle ou telle formule éclairante sur la pensée de Diderot, nichée dans un article peu lu, voire mal compris ?

Marie la pionnière… L’article favori de Marie, si je ne m’abuse, n’est pourtant pas celui-là, qui nous livre bien des clés du matérialisme des Lumières. Celui qui a sa préférence – en tout cas « celui auquel [elle est] le plus habituellement revenu[e] » – est ENCYCLOPÉDIE, (Philosoph.). Cet article, qui nous place au cœur des intentions du directeur de l’Encyclopédie, de ses convictions profondes mais aussi de ses hésitations, vise à nous délivrer de toute tutelle en proclamant sa volonté de « changer la façon commune de penser ». Nul doute que la conception et la réalisation de l’ENCCRE qui ont demandé à Marie et ses copilotes tant d’ambition, d’audace, de détermination pour en venir à bout sont de la même trempe que celles qui animaient les encyclopédistes !

Marie la combattante… A s’en tenir seulement au combat des mots, il convient de rendre hommage, pour finir, à la militante. Celle qui, à l’horizon des savants et minutieux commentaires de l’Encyclopédie, n’a jamais oublié ce qui se joue derrière les articles concernant la guerre, l’esclavage, l’inquisition, la torture, la censure et tant d’autres qui, de manière plus ou moins directe, ont contribué à la diffusion des Lumières dont nous sommes les heureux héritiers, nous qui incarnons cette postérité que Diderot appelait de ses vœux sous le vocable de « neveux ».

Quand j’introduisais en 1998 le volume d’actes La Matière et l’Homme dans l’Encyclopédie, j’invoquais les vers d’Aragon qui vantaient l’union au combat dans la résistance de « Celui qui croyait au ciel » et « Celui qui n’y croyait pas ». J’ai plaisir aujourd’hui – signe des temps –, moi la spécialiste de l’histoire des religions, à distinguer ceux qui croient en l’homme et les barbares qui n’y croient pas, en optant résolument, partout et toujours, comme Marie, comme tous les enccristes, pour l’humain.

Rouen, le 6 juin 2024

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