L’article TRIBU, s. f. (Gram. & Hist. anc.) n’est pas très long, puisqu’il ne consiste qu’en une seule phrase en forme de définition lexicographique : « certaine quantité de peuple distribuée sous différens districts ou divisions. » C’est pourquoi il reçoit le désignant Gram. (Grammaire), qui cumule ici les deux fonctions qui lui sont assignées : la terminologie et le savoir grammatical, et le sens des mots de la langue usuelle. La brièveté de cet article permet de penser qu’il sert ici d’introduction aux trois articles qui suivent et qu’annonce l’autre désignant (Hist. anc.) : Tribus des Hébreux, (Hist. sacrée.), Tribus d’Athenes, (Hist. d’Athènes) et Tribu romaine, (Hist. rom.), tous trois de Jaucourt. On peut même penser que ce court article a été écrit après que Jaucourt eut livré les siens.
Auteur
Marie Leca-Tsiomis attribue cet article à Diderot. On peut imaginer qu’il a tenu ici à donner une définition du mot tribu, qu’on ne trouve pas dans les trois articles suivants. L’article ne fait que reprendre, en la reformulant, la définition donnée par Antoine Furetière en son Dictionnaire universel (1690), reprise ensuite par les rééditions :
TRIBU, s.f. Certaine quantité de peuple dont on fait la distribution en plusieurs quartiers.
qui ajoute :
Le peuple Juif étoit divisé en douze Tribus. Il y eut dix Tribus qui se revolterent, & qui suivirent Jeroboam. Le peuple Romain étoit aussi divisé en 35 Tribus.
On le voit, Furetière faisait allusion aux tribus d’Israël et à celles de Rome. Les Athéniens viendront plus tard. Pierre Richelet (Dictionnaire françois, 1680) en disait un peu plus :
Tribu, s. f. Ce mot se dit en parlant du peuple d’Israel & de l’ancien peuple Romain. Et il signifie partie du peuple d’Israël. Partie de la terre de promission où étoit le peuple d’Israël. (…) Le mot de tribu en parlant de l’ancien peuple Romain veut dire une partie de l’ancien peuple Romain. (…)
Tribu. Terme de l’Université de Paris. Partie de nation de l’Université. [Etre de la tribu d’Amiens, être de la tribu de Beauvais, &c.]
Ce n’est qu’en 1701, dans l’édition d’Henri Basnage de Beauval, que l’acception universitaire est intégrée à l’entrée Tribu du dictionnaire de Furetière révisé. Les rééditions, hollandaises et trévoltiennes, n’ajoutent rien de neuf.
Enjeux
Il faut bien reconnaître que le concept de tribu, sorti du contexte antique – les Hébreux, Athènes, Rome – n’a alors pas de grande signification. Si l’article TRIBU est si court, c’est qu’il n’est pas un enjeu majeur des sciences de la société au XVIIIe siècle. Tribu, en effet, est fortement lié à l’histoire antique, comme le laisse entendre le deuxième désignant.
C’est au XIXe siècle que le terme sera largement employé par l’anthropologie naissante et les théories évolutionnistes avant d’être fortement dévalué dans la seconde moitié du XXe, sous la pression des communautés amérindiennes principalement, qui voyaient dans le terme (anglais) tribe une appellation humiliante. On peut dès lors parler de la « crise du concept de tribu » (Pierre Bonte et Michel Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF, 1991, art. TRIBU). Mais la pensée sociale du XVIIIe siècle n’est pas encore à même de théoriser sur les différences d’organisation dans l’évolution des sociétés humaines. Notons qu’au moment où la notion de tribu était contestée dans les sciences sociales, les sciences du vivant s’appropriaient le terme pour l’inclure dans la classification scientifique des espèces, entre la famille et le genre.
Sources
Furetière semble avoir fourni à l’auteur l’essentiel de son article.
Observation
Il est cependant un emploi qui est bien réel à l’époque, mais que l’Encyclopédie pouvait difficilement appréhender, celui appliqué aux communautés de métier en Alsace. En effet, les historiens francophones de la région, tels Louis Laguille, Histoire de la province d’Alsace depuis Jules César jusqu’au mariage de Louis XV, Strasbourg, 1727 ; Philippe-André Grandidier, Histoire de l’Église et des princes-évêques de Strasbourg, jusqu’à nos jours, Strasbourg, 1776, Histoire ecclésiastique, militaire, civile et littéraire de la province Alsace, Strasbourg, 1787 (et autres ouvrages), désignent sous le nom de tribu toute organisation corporative. On en trouve les premières occurrences dès 1681 dans l’accord passé entre le roi Louis XIV et les autorités strasbourgeoises lors de la reddition de la ville (Articles proposés par les Préteurs, Consuls & Magistrat de la Ville de Strasbourg le 30 septembre 1681 / Accord So in Nahmen Ihro Königl. Mäytt. in Franckreich von Monsr. de Louvis [sic], und Monsr. de Montclar mit der Stadt Straßburg getroffen worden).
Ainsi, Strasbourg comprenait vingt « tribus », ou corporations, Colmar en comptaient dix, et les autres villes majeures de la province étaient pareillement organisées. On peut s’étonner de ce choix lexical, quand communauté aurait pu faire l’affaire. L’allemand dit Zunft qui a bien ce sens. Peut-être les Alsaciens souhaitaient-ils marquer la différence entre le système germanique, qui voyait toutes les corporations, certaines regroupant plusieurs métiers, participer au fonctionnement de la vie politique, assurant ainsi à chaque « bourgeois » reconnu, fût-il un modeste artisan ou un noble, de prendre part au gouvernement de la ville, au moins indirectement. En France, ce n’était pas le cas : nombre de métiers n’avaient pas d’organisation professionnelle et, dans les grandes villes, seules quelques corporations s’arrogeaient le droit, comme à Paris les Six-Corps, de participer à l’administration municipale.
Il n’est pas non plus question des quatre « nations » de l’université de Paris, subdivisées en tribus, telles que rapportées par Richelet et ses successeurs (y compris les dictionnaires « de Trévoux »), pas plus qu’une autre acception, qu’indique seul le Dictionnaire universel français et latin dans son ultime édition de 1771 (t. VIII, 1771) :
Tribu, en termes d’Histoire Monastique. On donnoit ce nom à une certaine quantité de Moines qui avoient sous l’Abbé un Supérieur particulier.
Échos et réemplois
Les éditions de Lucques (t. XVI, 1771) et de Livourne (t. XVI, 1775) reproduisent textuellement l’article TRIBU ainsi que les trois articles suivants, qui sont dûment crédités. On retrouve ces textes, en partie condensés, dans Le grand vocabulaire françois, X, 1771. La définition générale est cependant fortement contractée :
TRIBU ; substantif féminin Une des parties dont un peuple est composé.
Elle est suivie de l’article Tribus d’Athenes, donné intégralement ; puis de Tribu romaine, aussi entièrement reproduit (!) ; enfin, des tribus des Hébreux, dont le texte ne suit pas celui de Jaucourt. Au total, sept pages pour un mot ! Aucun auteur n’est indiqué.
L’Encyclopédie d’Yverdon (t. XLI, 1775) ne retient que les trois articles de Jaucourt (non crédités), mais pas le petit article « introductif » ! Pierre Adam d’Origny, en son Dictionnaire des origines, ou époques des inventions utiles, des découvertes importantes…, t. 2 : R-Z, Paris, 1777, résume les articles de l’Encyclopédie (Tribu + les trois de Jaucourt), mais ne mentionne pas leurs auteurs. Bien évidemment, tous les articles de l’édition originale, dûment crédités, sont repris dans les éditions in-quarto de Pellet à Genève (t. 34, 1778) et de Berne et Lausanne (t. 34, 1781).
De façon intéressante, Mouchon (Table, II, 1780) ne retient pas non plus le petit article « introductif », jugé peut-être trop peu pertinent. Ses renvois concernent : Tribus des Hébreux (2 lignes), Tribus d’Athènes (renvois aux t. XVI, V, I et XII), Tribu romaine (analysée en détail, seul renvoi au t. XVI), les Tribus de Rome… (renvois aux t. IX, XVI, I, III), et ajoute quelques tribus perdues dans le Dictionnaire telles Tribus, (Hist. mod.) du Malabar, XI, 7. a. des Tartares, XV, 923. b. de l’Indoustan, XV, 141. a.
Bibliographie
Il n’y a pas d’étude portant sur l’article TRIBU, s. f. (Gram. & Hist. anc.) , pas plus d’ailleurs que sur les articles de Jaucourt.