Chère Marie,
Cela fait une bonne dizaine d’années maintenant que je te pose cette même question, comme une mauvaise boutade, à chaque fois que l’occasion de concilier rire et travail se présente dans les réunions de l’ENCCRE : mais qui est donc ce fameux écrivain, éditeur de l’Encyclopédie, cet illustre inconnu, qui t’occupe tant et auquel nous avons consacré tant de nos nombreuses et passionnantes réunions ?
Comment est-il possible de passer autant de temps sur cet homme dont tout indique qu’il a joué un rôle aussi important pour l’ouvrage qui nous occupe et dans les travaux que tu as conduits ?
L’article INCONNU (Gramm.), signé du même personnage[1], affirme que le mot « ne se dit point des choses qu’on ne connoit point ; car on ne dit rien de ce qu’on ne connoit pas, mais des choses qu’on connoit & des qualités qu’on y soupçonne ».
Cette façon d’entendre le terme me rassure en quelque sorte : la question que je pose avec la béatitude de l’ignorant et le bonheur du joyeux plaisantin, ne serait peut-être pas aussi bête qu’elle en a l’air ? Si tel était le cas, je ne le devrais de fait qu’à ce même (et toujours) illustre inconnu…
Comble de l’ironie, je me retrouve en tous cas à mettre par écrit les bêtises que je ne proférais habituellement qu’à l’oral, le tout au cœur de ces jolis mélanges que nous t’offrons aujourd’hui, autour de ce fameux inconnu, faute d’avoir trouvé un mot qui m’inspire suffisamment, ou sur lequel je sois capable d’écrire autre chose que mes idioties habituelles.
Ce n’est évidemment pas, comme tu l’imagines, la dernière fois que je pose la question. L’occasion était trop belle cependant pour ne pas partager publiquement le bonheur que j’ai eu de pouvoir te la poser et de te la reposer au long cours de cette belle aventure que nous avons initiée il y a près de quinze ans avec Irène et Alain, et de tous et toutes[2] les autres collègues qui ont accepté de se joindre à nous.
Si je n’ai donc toujours pas compris de qui il s’agit, je n’en ai pas moins énormément appris grâce à toi sur l’Encyclopédie et son illustre inconnu.
Quel plaisir de t’entendre nous parler de l’un comme de l’autre, d’apprendre à tes côtés, de te voir t’emporter, tempêter, renvoyer les uns aux travaux de Proust, les autres au catalogue de Darty, de t’écouter et te lire défendre pied à pied une certaine façon de concevoir le travail historique et les études sur l’Encyclopédie au milieu de l’océan de données numériques qui nous entoure désormais, et dont nous avons essayé de faire, avec l’ENCCRE, un espace rigoureux et accueillant où nous puissions retrouver nos repères, partager le savoir accumulé sur l’ouvrage, rendre l’œuvre plus accessible, de sorte que toute personne susceptible de se demander ce que peut bien contenir cette fameuse Encyclopédie dirigée par un illustre inconnu (et le non moins célèbre D’Alembert pour le pauvre historien des mathématiques que je suis) puisse espérer trouver une réponse la moins idiote possible, à la hauteur « de ce qui ne pouvait être l’ouvrage d’un seul homme ».
C’est un bel accomplissement auquel je suis heureux d’avoir participé à tes côtés, contribuant peut-être ainsi, c’est un comble, à répondre à la fameuse question.
Bien encyclopédiquement,
Un véritable inconnu
[1] Grand merci à Irène d’avoir attiré mon attention sur l’article !
[2] Un soupçon d’écriture paritaire te charmera au plus haut point, j’en suis sûr